À lire cette phrase un peu tortueuse, on comprend pour finir qu’une des promeneuses du
« groupe de provinciaux » – la caractérisation sociale a son importance –, se pique de faire de la peinture et « n’admire que les lointains »
qu’elle trouve « pittoresques », ce qui veut dire au détriment de tout ce qui émeut Régnier dans ce paysage. L’adjectif semble un terme
rapporté, une mention : il est employé en situation, de façon à la fois littérale (caractérisant des lointains « dignes d’être peints ») et
ironique (le beau recherché y est retourné en cliché). Le passage met donc en lumière la contradiction entre l’aspiration à l’art authentique
et sa plate récupération bourgeoise. [#BV]
123
Cet aphorisme se comprend à la lumière de ce qui précède. La phrase procède par
anadiplose, commençant par le mot « pittoresque » sur lequel s’achevait la précédente. Le passage du particulier au général et la
décontextualisation sont caractéristiques des maximes de Régnier, qui les recueillera dans Donc….
Celle-ci repose sur tout un discours anti-bourgeois qui va de Flaubert à Villiers de l’Isle-Adam : l’Idéal, et le Beau pour l’artiste, ont
pour ennemi déclaré la bourgeoisie, le terme finissant par désigner moins la classe sociale qu’un archétype de la médiocrité, voire, ailleurs,
de la bêtise et de la bassesse. Aussi l’aphorisme de Régnier doit-il s’entendre comme une marque de mépris à l’égard de cette bourgeoisie qui
trouve dans le pittoresque un beau à sa mesure, c’est-à-dire rapetissé, commun et, en l’occurrence, monnayable pour le tourisme. Si le jeune
Régnier sait se montrer plus caustique, cette maxime privilégie le plaisir du trait d’esprit. [#BV]
124
Si, au début du siècle, la Manufacture des Gobelins (compte tenu de son statut de manufacture
d’État) destine ses tapisseries surtout aux autorités nationales et internationales, avec l’avènement de la IIIe République elle reçoit de
plus en plus de commandes pour la décoration des lieux publics. Sa visibilité plus grande attire une nouvelle clientèle, constituée de la
haute bourgeoisie et de riches industriels, qui sont aussi à l’origine d’un nouveau goût en matière de décoration intérieure. La tapisserie
traverse alors une crise liée surtout à ses rapports avec la peinture. En effet, d’après le Dictionnaire national ou
Dictionnaire universel de la langue française publié par Bescherelle en 1856, les « Gobelins » sont une manufacture où l’on
« exécute des tableaux en tapisserie […] ». Leur réputation est due au fait qu’« il est impossible de rendre avec autant d’exactitude la
pureté du dessin et la magie du coloris des plus beaux tableaux » (p. 44). Cette définition est encore reprise dans le Dictionnaire de 1887 (p. 1739). Néanmoins, à partir de 1877, on insiste sur la différence entre ces deux arts et sur la nécessité
pour la tapisserie de renouer avec ses caractéristiques originaires, à savoir la bordure, des couleurs et des tons restreints ainsi qu’un
dessin plus marqué et moins complexe. (Voir B. Caen, Renaissance d’un médium artistique : la tapisserie en
France et en Belgique au XIXe siècle [Zurich Open
Repository and Archive, University of Zurich]. La note de Régnier témoigne de ce débat, ou mieux le renverse : ce n’est plus la
tapisserie qui imite la peinture, mais l’inverse. [#SR]
125
Régnier emploie ce néologisme plutôt que l'usuel "sautillement".
À lire cette phrase un peu tortueuse, on comprend pour finir qu’une des promeneuses du
« groupe de provinciaux » – la caractérisation sociale a son importance –, se pique de faire de la peinture et « n’admire que les lointains »
qu’elle trouve « pittoresques », ce qui veut dire au détriment de tout ce qui émeut Régnier dans ce paysage. L’adjectif semble un terme
rapporté, une mention : il est employé en situation, de façon à la fois littérale (caractérisant des lointains « dignes d’être peints ») et
ironique (le beau recherché y est retourné en cliché). Le passage met donc en lumière la contradiction entre l’aspiration à l’art authentique
et sa plate récupération bourgeoise. [#BV]
123
Cet aphorisme se comprend à la lumière de ce qui précède. La phrase procède par
anadiplose, commençant par le mot « pittoresque » sur lequel s’achevait la précédente. Le passage du particulier au général et la
décontextualisation sont caractéristiques des maximes de Régnier, qui les recueillera dans Donc….
Celle-ci repose sur tout un discours anti-bourgeois qui va de Flaubert à Villiers de l’Isle-Adam : l’Idéal, et le Beau pour l’artiste, ont
pour ennemi déclaré la bourgeoisie, le terme finissant par désigner moins la classe sociale qu’un archétype de la médiocrité, voire, ailleurs,
de la bêtise et de la bassesse. Aussi l’aphorisme de Régnier doit-il s’entendre comme une marque de mépris à l’égard de cette bourgeoisie qui
trouve dans le pittoresque un beau à sa mesure, c’est-à-dire rapetissé, commun et, en l’occurrence, monnayable pour le tourisme. Si le jeune
Régnier sait se montrer plus caustique, cette maxime privilégie le plaisir du trait d’esprit. [#BV]
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Si, au début du siècle, la Manufacture des Gobelins (compte tenu de son statut de manufacture
d’État) destine ses tapisseries surtout aux autorités nationales et internationales, avec l’avènement de la IIIe République elle reçoit de
plus en plus de commandes pour la décoration des lieux publics. Sa visibilité plus grande attire une nouvelle clientèle, constituée de la
haute bourgeoisie et de riches industriels, qui sont aussi à l’origine d’un nouveau goût en matière de décoration intérieure. La tapisserie
traverse alors une crise liée surtout à ses rapports avec la peinture. En effet, d’après le Dictionnaire national ou
Dictionnaire universel de la langue française publié par Bescherelle en 1856, les « Gobelins » sont une manufacture où l’on
« exécute des tableaux en tapisserie […] ». Leur réputation est due au fait qu’« il est impossible de rendre avec autant d’exactitude la
pureté du dessin et la magie du coloris des plus beaux tableaux » (p. 44). Cette définition est encore reprise dans le Dictionnaire de 1887 (p. 1739). Néanmoins, à partir de 1877, on insiste sur la différence entre ces deux arts et sur la nécessité
pour la tapisserie de renouer avec ses caractéristiques originaires, à savoir la bordure, des couleurs et des tons restreints ainsi qu’un
dessin plus marqué et moins complexe. (Voir B. Caen, Renaissance d’un médium artistique : la tapisserie en
France et en Belgique au XIXe siècle [Zurich Open
Repository and Archive, University of Zurich]. La note de Régnier témoigne de ce débat, ou mieux le renverse : ce n’est plus la
tapisserie qui imite la peinture, mais l’inverse. [#SR]
125
Régnier emploie ce néologisme plutôt que l'usuel "sautillement".