Régnier connaît Paul Adam (1862-1920) depuis 1885 et leur rencontre 13 rue Condorcet dans le salon de Robert Caze (1853-1886) où se réunit la jeune littérature. Issu d’une famille d’Arras ruinée par la faillite de l’Union générale (1882), Adam multiplie les articles dans la presse et dans les revues de jeunes. Longtemps impécunieux, d’une santé fragile, ayant sa mère à charge, il n’acquiert l’aisance que tardivement, par son mariage avec Sarah Meyer, la sœur de Jeanne Muhlfeld et de Suzanne Cappiello. Figure majeure du Symbolisme, il publie avec Félix Fénéon sous le pseudonyme collectif de Jacques Plowert un Petit Glossaire pour servir à l’intelligence des auteurs décadents et symbolistes (Vanier, 1888) et fonde avec Vielé-Griffin et Régnier les Entretiens politiques et littéraires (1890-1893) dans lesquels il publie entre autres articles un Éloge de Ravachol (juillet 1892) qui témoigne de son engagement pour l’anarchisme intellectuel. Surtout connu comme romancier, il débute par un roman naturaliste, Chair molle (1885), condamné par la justice, puis poursuit par des récits à l’esthétique symboliste. Il regroupe son œuvre narrative en deux séries, L’Époque et Le Temps et la Vie, dans lesquelles il évoque notamment l’histoire de sa famille, appelée Héricourt dans la fiction. Son amitié fidèle avec Régnier est nourrie par un même combat littéraire et par un long séjour à Nazelles (été 1892) où ils participent avec Vielé-Griffin à l’écriture ludique d’une pièce de théâtre, Les Susceptibles, dont le début sera publié sous le titre neutre Fragment dramatique dans La Plume. Elle durera jusqu’à la mort prématurée de Paul Adam dont il tentera en vain de favoriser l’élection à l’Académie française. Régnier consacre à Adam cinq articles entre 1891 et 1913 et lui rend hommage dans ses Faces et Profils des Nouvelles littéraires (1930), le texte étant ensuite recueilli dans Nos rencontres, 1931, p. 73-84. Voir Notice de la BnF.
PLLe Théâtre de l’Ambigu-Comique, ouvert en 1769, puis reconstruit après un incendie en 1827 et fermé en 1966, est la scène du mélodrame. Situé boulevard du Temple, il est le principal fleuron du « boulevard du Crime ».
PLExpression d’un marasme récurrent, de ce spleen qu’on appelle aujourd’hui « dépression » et auquel Régnier est régulièrement sujet, en particulier pendant ses jeunes années. Il faut distinguer ces périodes d’abattement, très précisément décrites par Régnier, d’une disposition générale contemplative et mélancolique, qui peut se convertir ailleurs en faculté esthétique sous le nom de « songe ». Voir Régnier lui-même : « il y a une certaine mélancolie qui se satisfait d’elle-même, qui est une tournure de l’esprit, une couleur de l’âme, et une autre qui est imposée, qu’on subit sans y participer, qui accable et qu’on déteste. » (NAF-14975/Cahier XII, p. xx [NB 220].) Voir : ENNUI, TRISTESSE
BVTHEODORE DE BANVILLE (1823-1891), le poète parnassien des Stalactites (1846) et des Odes funambulesques (1857), ami de Baudelaire, est aussi l’auteur d’un Petit Traité de Poésie française (1871) qui fait longtemps autorité auprès des adeptes du vers régulier. Régnier lui reconnaît le mérite d’avoir assoupli l’alexandrin, mais voit plutôt en lui un épigone de Hugo qui l’inspire dans ses « improvisations harmonieuses » (« Le Saule et le Laurier » [1906], Sujets et Paysages, p. 211). À sa mort, il trace de lui dans une lettre à Vielé-Griffin (16 mars 1891) un portrait mêlé où se côtoient une estime parfois admirative et une certaine déception. Il apprécie vivement sa prose: « j’aimais ces contes où il excellait, où l’uniformité de l’hyperbole et de l’impossible créait une sorte de vérité souriante, où les événements s’équilibraient à souhait pour d’incroyables réussites ». Mais il juge sa poésie inférieure à sa réputation: « Il a frôlé les plus beaux sujets et il y eut au moins l’impuissance respectueuse. C’était une espèce de Murger de l’Olympe. » (Correspondance, p. 563). Malgré ces réserves, Banville sert de modèle à Régnier dans son usage de l’odelette, un genre ancien dont il fait alterner les rythmes musicaux avec les vastes ensembles de Tel qu’en songe et des Jeux rustiques et divins comme pour en rappeler sur un mode mineur la tonalité principale. Dans Airs pour l’écho (1933), il réunit ses odelettes dont la souplesse assimile avec bonheur le vers libre et les place, dans une « lettre-préface », sous le patronage de Banville comme la quintessence de la liberté poétique. Notice de la BnF
PLLouis Bouchené, dit Cléophas, puis Baron (1838-1920), acteur comique et artiste lyrique. Membre de la troupe du Théâtre des Variétés, il crée de nombreuses pièces de Labiche et d’Offenbach.
PLL’admiration précoce de Régnier pour Baudelaire (1821-1867) nourrit ses premiers poèmes où l’imprégnation des Fleurs du mal se mêle à l’intertextualité verlainienne. Au-delà de thèmes identificatoires et du système d’images où le poète débutant reconnaît assez vite ses attentes, la strophe de Baudelaire a valeur éclatante de modèle esthétique : « les images passent et houlent dans un mouvement général de la phrase et existent à la fois par elles-mêmes et par leur position en la texture générale » (lettre à Vielé-Griffin, 5 décembre 1890, leur Correspondance (1883-1900), p. 511). Régnier définit ainsi la primauté du rythme et de l’équilibre du vers dans la strophe comme lois majeures de la création poétique. Pour soutenir sa conviction, à l’époque où lui-même élabore sa propre pratique du vers libre, il observe que les poèmes les plus beaux de Baudelaire valent avant tout « comme texture, structure, valeur des mots, autorité, échos » (Cahiers, 29 juin 1890, Cahier XII/70/3-4 [223]). L’homme lui-même avec ses paradoxes et son mystère le fascine: « C’est un être qui est venu et qui est reparti » (Cahiers, avril 1891, Cahier XIII/131/5-6 [250]). Au long de sa vie, Régnier consacre de nombreux textes à défendre la mémoire et l’œuvre du poète contre ceux qui le dédaignent comme Brunetière et pour aider à discerner le « vrai Baudelaire » derrière l’être factice et déroutant légué par sa légende de poète maudit. En 1892, il s’engage au comité chargé d’organiser l’érection d’une statue au cimetière Montparnasse qui, après bien des retards, sera inaugurée en 1902. L’année suivante, parmi les portraits d’écrivains réunis dans les Entretiens politiques et littéraires, il publie son premier essai sur Baudelaire (25 février 1893, p. 145-150), repris ensuite, parfois avec variantes, dans divers périodiques entre 1902 et 1917 et dans Portraits et Souvenirs (1913), p. 47-50. Les Fleurs du mal appellent deux lectures entre lesquelles on ne peut trancher. D’un côté, c’est un livre « autobiographique »: « livre peccamineux de délectation morose, magnifique rêverie sur soi-même et sur les possibilités mauvaises de l’être ». De l’autre, c’est un livre « dramatique » et « artificiel » : le poète « s’y suppose autant qu’il s’y raconte ; il y est en même temps l’acteur et l’auditeur ». Quoi qu’il en soit, son originalité vient aussi de sa situation historique entre le Romantisme qu’il dépasse et le Symbolisme qu’il engendre. Régnier est très attentif aux travaux critiques, nombreux depuis l’essai de Bourget et sa « Théorie de la Décadence », et aux éditions nouvelles qui se multiplient et modifient le regard porté sur ce « livre de curieux et de raffinés », devenu étrangement un succès de librairie (Cahiers, 26 mai 1918, 1918/14/3 [741]). La publication d’inédits (essais, ébauches, journaux, lettres) permet de récuser « cette assimilation indue qui restreint la poésie à n’être que l’expression directe d’une personnalité » (Journal des Débats, La Semaine dramatique, 24 août 1908). En 1917, lui-même travaille à une préface pour une édition des Fleurs du mal, qui ne verra le jour qu’en 1930 (à la Renaissance du Livre), mais dont il trace les grandes lignes dans l’essai Baudelaire et Les Fleurs du mal recueilli dans Proses datées (1925), p. 125-160. Dans ce second bilan, Régnier poursuit sa quête du « vrai Baudelaire », « celui dont le vaste et lucide esprit créait, au-dessus des contingences médiocres ou douloureuses de sa destinée, son œuvre de haute esthétique ». Il évoque sa parenté intellectuelle avec Poe, son œuvre critique ouverte aux novateurs comme Wagner et sa filiation avec Gautier dont il adopte le sens du pittoresque, du macabre et du grotesque et le refus du lyrisme déclamatoire. Il revient aussi sur la composition des Fleurs du mal: le livre obéit-il à une « stricte ordonnance » ou est-il seulement dicté par l’aléa des circonstances vécues au fil des jours ? En s’appuyant sur les écrits posthumes, il conclut sur la part dominante prise par la subjectivité dans l’ordre des poèmes, mais insiste sur le classicisme qui maintient à distance toute effusion. En écho à ses essais, Régnier recense douze ouvrages consacrés à Baudelaire dans ses chroniques du Figaro (1920-1933), qui contribuent autant à détruire les images erronées d’un poète excentrique et mystificateur qu’à suggérer l’infinité des lectures possibles de l’œuvre comme le prouvent son influence sur la poésie contemporaine et la masse d’études érudites ou admiratives publiées. Il y rappelle aussi le « pathétique envoûtement » que le livre exerce depuis toujours sur lui. Et, comme signe intangible de leur connivence secrète, il s’imagine dans son poème Baudelaire à Honfleur, écrit en 1923 (voir Flamma Tenax, 1928, p. 205-215), croisant le 8 juillet 1865 dans les rues de Honfleur le poète des Fleurs du mal en visite chez sa mère à la « maison-joujou ».
PLRaoul de l’Angle-Beaumanoir (1855-1899). Ingénieur, poète parnassien et romancier, proche de Mallarmé. Fils du marquis Tristan de l’Angle-Beaumanoir (1828-1895), préfet (1877), puis sénateur monarchiste des Côtes-du-Nord (1885-1895), qui, alors sous-préfet de Tournon (Ardèche), avait obtenu en 1866 le renvoi de Mallarmé, professeur d’anglais au lycée de cette ville, fréquenté par son fils, car il jugeait ses vers « malencontreux et affligeants ». C’est pour réparer la sévérité de son père que Raoul deviendra un habitué des « mardis » de la rue de Rome. Ingénieur, diplômé de l’École Centrale, sous-inspecteur de traction des Chemins de fer de l’Ouest, il avait démissionné et publié un ouvrage intitulé: La Traite des Blancs au XIXe siècle, situation des employés de chemins de fer en 1883 (chez l’auteur, 1883, rééd. Hachette/BnF, 2017). « On commence à s’apercevoir depuis quelque temps, écrivait-il, que, si la République de 1848 a aboli la Traite des Noirs dans notre pays, la Traite des Blancs y fleurit au grand jour dans toute sa laideur; que les marchands de chair humaine, sortes de négriers de la voie ferrée, ont transformé les Compagnies en véritables marchés d’esclaves… » Il s’était également intéressé à la navigation sous-marine et à l’énergie éolienne destinée à produire de l’électricité, en menant des expériences au cap de la Hève, près du Havre. Il était l’auteur du recueil Les Fleurs noires (1879), de Victor Hugo, élu de Paris (881), de Rien comme les autres (1895).
FBPierre Montan, dit Pierre Berton (1842-1912), comédien et auteur de vaudevilles. Voir Pierre Berton: Notice de la BnF
PLAlbert Besnard (1849-1934) fut un portraitiste et un décorateur célèbre de la fin et du tournant de siècle. Il compte aussi à son actif une œuvre importante de graveur. Régnier admire l’artiste à la fin des années 1880, mais plus tard il n’appréciera guère l’homme devenu pour lui une relation mondaine.
BVR. Halil Bey (1859-1939). Peintre turc, il est envoyé par le Gouvernement Impérial Ottoman à l’école des Beaux-Arts de Paris, où il étudie la peinture auprès de Gérôme et de Courtois. En 1886 il est domicilié au 12 rue des Saints-Pères et il expose au Salon des Champs-Élysées le Portrait de Mme de C…. L’année suivante il y présente une Fileuse et le Portrait de Madame Dupret. En 1888, il élit son domicile chez le docteur M. Mihran, au 7, rue des Petits-Carreaux et expose au Salon une étude. Il participe également à l’Exposition Universelle de 1889 avec une étude et à celle de 1900 avec un Portrait de dame, même si le critique Régis Delbeuf remarque qu’il est mieux représenté au Pavillon ottoman. Sa dernière exposition en France date de 1901, où il participe au Salon avec un portrait. À ce moment, d’après Régis Delbeuf, il avait son atelier dans la rue Étienne Marcel. On n’a pas retrouvé le portrait sur lequel il était en train de travailler lorsque Régnier lui rend visite. Pour avoir une idée de ses œuvres on peut admirer le Portrait de Madame X dans Régis Delbeuf, Les Premiers Salons de Constantinople, L’Art et les artistes, avril-septembre 1906.
SRCharles-Eudes Bonin (1856-1929), ancien élève du lycée Fontanes (aujourd'hui Condorcet) où il se lie avec René Ghil. Il collabore brièvement, comme Régnier, à la revue de Ghil, les Écrits pour l’Art (1887), puis, diplomate et explorateur, il effectue plusieurs missions d’exploration au Tibet, en Mongolie, en Chine et au Laos.
PLAntoinette de Bony, le grand amour de la jeunesse de Régnier, dont nous ne connaissons le détail que grâce à sa correspondance avec Vielé-Griffin. Antoinette est la plus jeune belle-sœur de sa tante Louise, la dernière sœur de sa mère, épouse de Gaston de Bony. Leur liaison s’étend avec des hauts et des bas sur une dizaine d’années et culmine en octobre 1886 quand ils consomment leur adultère sous le toit conjugal au château de Bujaleuf (Haute-Vienne) après une excursion amoureuse dans les monts d’Auvergne. Dans les Cahiers, elle est toujours désignée par l’initiale A., une unique fois dans une entrée tardive par les initiales complètes A. de B. (12 juin 1917), par le cryptonyme Renée, allusion à l’héroïne de Zola, ou simplement par le pronom elle.
PLAmi de Clemenceau, le général Georges Boulanger (1837-1891) est ministre de la guerre dans les gouvernements Freycinet et Goblet (7 janvier 1886-17 mai 1887). Il donne d’abord des gages aux Républicains en faisant voter la loi interdisant aux héritiers des familles ayant régné sur la France de demeurer sur le territoire (22 juin 1886) et acquiert une très grande popularité chez les militaires en réformant l’armée. De son propre chef, il entretient un réseau d’agents dans les zones annexées par les Allemands qui provoque l’affaire Schnaebelé (20 avril 1887) et par ricochet son éviction du pouvoir. Pour beaucoup alors, il symbolise la revanche et la méfiance à l’égard des institutions républicaines. Sa popularité s’étend et touche aussi bien les milieux nationalistes que les partisans d’une restauration qu’il avait pourtant contribué à contrarier. Sa nomination au commandement du 13e Corps d’armée basé à Clermont-Ferrand, ressentie comme une mise à l’écart, provoque des manifestations de ferveur autant que de colère (8 et 14 juillet 1887). De nombreux intellectuels, comme Barrès et Paul Adam, se rallient à son action qui se déplace désormais sur le plan politique, obtient quelques succès, mais se brise, après le décret d’arrestation lancé contre lui (1er avril 1889), sa condamnation à la déportation et son exil à Bruxelles (14 août 1889), sur l’échec de nombreux candidats boulangistes aux élections législatives (29 septembre-6 octobre 1889). La correspondance de Régnier avec Vielé-Griffin accompagne avec une curiosité souvent passionnée les étapes de l’agitation boulangiste. L’un et l’autre lui accordent une évidente sympathie, plus affirmée peut-être chez Vielé-Griffin, mais Régnier raconte avec une certaine gourmandise le mariage de la « blonde Marcelle », la fille du général, avec le capitaine Émile Driant (29 octobre 1888) auquel il est invité avec sa sœur Isabelle, l’une des amies proches de la fiancée.
PLPour Régnier, Paul Bourget (1852-1935), académicien dès 1894, est d’abord l’auteur des Essais et Nouveaux Essais de psychologie contemporaine (1883-1885), dont il lit avec grand intérêt l’article sur Baudelaire et la théorie de la décadence (voir Lettres de poète [1906], Portraits et Souvenirs, p. 47). Ses nouvelles et ses premiers romans lui offrent ensuite une analyse de la division du moi inspirée par la métaphysique allemande. Il y découvre la représentation de sa propre multiplicité intérieure qu’il évoque alors dans ses Cahiers et ses lettres à Vielé-Griffin, puis exprime dans le lyrisme de Tel qu’en songe. L’idée angoissante de l’atomisation du moi, présente dès les récits de L’Irréparable (1884), est développée dans Le Disciple (1889), roman inspiré de l’affaire Chambige, du nom d’un étudiant constantinois qui tue sa maîtresse et rate ensuite son suicide. Le personnage central, Robert Greslou, élève du professeur Adrien Sixte, avatar de Taine, l’expose lui-même dans une longue confession pour justifier son crime. Cette figure traverse les écrits intimes de Régnier dans ces années 1880 et explique largement son attrait pour les premiers romans de Bourget, comme André Cornelis et Mensonges (1887), qui analysent des états d’âme complexes et inadaptés à la vie sociale contemporaine. Bourget, adepte alors d’une pensée relativiste et passionné par les travaux de la médecine moderne, livre dans ses récits des « planches d’anatomie morale » qui renouvellent le réalisme balzacien sans suivre les lois naturalistes. Après son retour à la foi chrétienne (1901), il voue son œuvre à la défense du conservatisme moral et social et multiplie les romans à thèse, qu’il préfère appeler des romans à idées. Régnier, devenu son confrère à l’Académie, le rencontre alors souvent sans jamais avoir avec lui de réelle intimité. Même s’il ne partage pas toujours sa pensée, il apprécie durablement l’écrivain, en se montrant toutefois réservé sur l’homme désigné dans une page des Cahiers comme « un sot intelligent, un snob incurable et sinistre » (4 décembre 1909). Signe de l’admiration qu’il porte à son œuvre, il lui consacre vingt-et-une recensions entre 1908 et 1934, cinq dans son feuilleton dramatique du Journal des Débats, seize dans « La Vie littéraire » du Figaro. Il y insiste sur la rigueur et la subtilité de ses « études d’âme » et, même si la défense d’une thèse détermine sans surprise la menée d’une intrigue, sur son aptitude à mettre en scène des situations romanesques accordées au sujet traité. Bourget, de son côté, consacre un article à L’Altana (Le Figaro, 15 avril 1928), peut-être en mémoire du jour d’octobre 1906 où ils s’étaient rencontrés par hasard à Venise (Le Figaro, 11 mai 1932). Notice de la BnF
PLPhilippe Burty (1830-1890), très lié aux Goncourt, est le critique attitré de La Gazette des
Beaux-Arts dès sa création (1859). Chargé par testament de classer les dessins de Delacroix,
collectionneur acharné, il
encourage l’Impressionnisme et le Japonisme, puis contribue à développer l’intérêt
de l’époque pour l’estampe et l’eau-forte.
Républicain fervent, proche de Gambetta, il devient inspecteur des Beaux-Arts (1881).
[PL]
Philippe Burty (1830- 1890), critique
d’art et collectionneur averti de dessins et d’estampes. Il tint à la Gazette des Beaux-Arts la
« Chronique des Arts et de la Curiosité » de 1859 à 1870, où il fait le compte rendu
des livres d’art et des ventes publiques à l’Hôtel
Drouot. Les Goncourt l’initièrent à l’art japonais, qu’il collectionna. Notice de la BnF [SR]
Henri Cazalis (1840-1909), ami de Mallarmé avec qui il échange une abondante correspondance (1862-1871), que Régnier peut lire avant sa vente publique (voir Cahiers, 26 juin 1935, 1935/57v/14 [876]). Médecin hygiéniste, il est aussi poète parnassien, collaborateur des trois séries du Parnasse contemporain (1866, 1870, 1876) et auteur de nombreux recueils, publiés sous son nom, puis sous les pseudonymes de Jean Caselli et surtout de Jean Lahor. Le plus important, L’Illusion, plusieurs fois augmenté de nouveaux textes (Lemerre, 1872-1897), témoigne de son attrait pour la pensée de Schopenhauer et pour la spiritualité bouddhiste. Influencé par William Morris (1834-1896), il milite aussi en faveur de l’art nouveau (L’Art nouveau, 1901) et de l’art social destiné à faciliter la vie quotidienne des classes populaires (L’Art pour le peuple à défaut de l’art par le peuple, 1902). Au cours de leur première rencontre, le 27 avril 1887 (Cahiers, Cahier V/32/20), Régnier est frappé par le pessimisme de Cazalis ; plus tard il avoue l’avoir « toujours trouvé un peu ennuyeux » (Cahiers, décembre 1892, Cahier XVII/66v/8 [315]), mais, ayant pu « causer » avec lui chez Leconte de Lisle, il nuance son sentiment et écrit à Vielé-Griffin qu’il « n’est pas nul » (voir leur Correspondance, 25 décembre 1888, p. 376). Avec le temps, toutefois, Régnier reviendra sur son jugement : « c’était un niais, bégayant et distrait, un assez pauvre médecin et un assez pauvre homme » (Cahiers, 26 juin 1935, 1935/57v/14 [876]).
PLRobert Caze (1853-1886), ancien communard, journaliste et romancier, auteur entre autres de L’Élève Gendevrin (1884), dédié à Huysmans. Son article Les Jeunes Poètes, paru dans le quotidien Le Voltaire le 18 août 1885, contribue à promouvoir les noms et les vers des jeunes qui débutent dans Lutèce, la plus avancée des revues d’avant-garde, à contre-courant de la presse contemporaine qui s’applique plutôt à les ridiculiser. Parmi ces noms, on lit ceux d’Albéric Thome et d’Hugues Vignix, alias respectifs de Vielé-Griffin et de Régnier. Chez lui, 13 rue Condorcet, dans le 9e arrondissement, Caze réunit le lundi, à partir de 1884, peintres impressionnistes (Signac, Seurat), romanciers naturalistes (Goncourt, Huysmans) et collaborateurs de Lutèce (Ajalbert, Paul Adam, Jean Moréas, Félix Fénéon, le directeur Léo Trézenik, puis Régnier et Vielé-Griffin dont c’est les premiers pas dans le milieu littéraire). Robert Caze meurt le 28 mars 1886 des suites du duel « funeste » qui l’oppose au poète Charles Vignier (1863-1934). Il laisse une veuve qui ne lui survit qu’un an et deux enfants.
PLFélicien Champsaur (1858-1934), journaliste, poète, dramaturge et romancier français. Il collabore aux revues de la bohème parisienne, L’Hydropathe, Panurge, Le Chat noir, avant de rejoindre les grands quotidiens, Le Figaro, L’Événement, où en 1887 il tient une chronique « D’après la vie »… Non content d’être dramaturge, il fait du milieu des arts de la scène le sujet de prédilection de ses livres, que ce soit dans Dinah Samuel (1882), son premier roman à clé – qui porte sur Sarah Bernhardt –, ou dans son premier ouvrage illustré, Les Clowns (1885). Félicien Champsaur fait partie de ces écrivains à succès et répandus qui incarnent les mœurs du monde de la presse: réputé plagiaire, Champsaur n’est pas considéré comme un des leurs par ses contemporains, qu’il s’agisse d’Émile Goudeau ou de Léon Bloy, lequel lui voue une haine féroce. Régnier s’en prend quant à lui à un sentimentalisme facile et vulgaire, considérant Champsaur comme le représentant de toute une catégorie d’écrivains de second ordre (« les Champsaur »). Notice de la BnF
JDLe Théâtre du Châtelet, construit sur l’impulsion du baron Haussmann par Gabriel Davioud en même temps que le Théâtre-Lyrique (devenu Théâtre-Sarah-Bernhardt, puis Théâtre de la Ville) qui lui fait face, est inauguré en 1862 place du Châtelet. Il se spécialise dans les féeries.
PLFRANCOIS COPPÉE (1842-1908), académicien (1884), poète des Intimités (1867) et des Humbles (1872), auteur dramatique et conteur. Son sentimentalisme et son prosaïsme lui aliènent les Symbolistes, notamment les Entretiens politiques et littéraires dont il est la bête noire. Régnier lui consacre deux articles, qui sont autant d’éreintements. Le premier est un portrait-charge qui le décrit comme un « Homère en veston » pour « bonnes gens » et comme le chantre de « toutes les balivernes sentimentales, religieuses et patriotiques » ([François Coppée], octobre 1892). Le second constitue une réponse à un discours dans lequel Coppée ironise sur les jeunes poètes à qui il attribue des « mœurs de Caraïbes »: aux yeux de Régnier, qui juge la plaisanterie sur le vers libre répétitive et désuète, la jeunesse littéraire ne s’intéresse pas autant à Coppée que celui-ci le pense ou l’espère et le juge, du reste, « le moins Parnassien des Parnassiens » (La Tête de M. Coppée, 15 juin 1895). Notice de la BnF
PLMadame Julia DAUDET, née ALLARD (13 juillet 1844-23 avril 1940), fut la femme et la collaboratrice d'Alphonse Daudet, et la mère de Léon, Lucien et Edmée Daudet. Poète: Poésies (1895), Au bord des terrasses (1906), auteur de souvenirs: L’Enfance d’une Parisienne (1883), Journées de Femmes suivi de Alinéas (1898), Souvenirs autour d’un groupe littéraire (1910), essayiste: Enfants et Mères (1889) et journaliste, elle fut membre du jury du Prix Femina. Elle a collaboré à l’écriture de l’œuvre d’Alphonse Daudet, qui avait une grande confiance dans son jugement de lectrice et de critique – elle avait remarqué l’importance et la nouveauté de l’œuvre de Proust, qu’elle a fortement encouragé quand il doutait de lui-même. Sa poésie est discrètement parnassienne, ses souvenirs – rapportés dans une langue exigeante mais sans pédanterie – se lisent avec intérêt et donnent des renseignements utiles sur l’époque où elle secondait son mari, tout en ayant le souci d’une œuvre personnelle et où elle animait intensément un salon fréquenté par des écrivains et artistes de renom. Léon Daudet, dans Quand vivait mon père, et Lucien Daudet, dans Vie d’Alphonse Daudet, ont livré un portrait de leur mère tout en amour filial et en justesse quant à la part de création qui lui revient dans l’œuvre d’Alphonse Daudet. En 1876, Auguste Renoir a peint un portrait de Julie Daudet. Elle y apparaît dans toute sa beauté et sa présence, marquée par un port de tête vigoureux et un regard volontaire. Ce portrait reflète la personnalité résolue du modèle.
PLCette petite revue, fondée par Anatole Baju (1861-1903), instituteur et figure de la Bohême littéraire, admirateur de Verlaine dont un vers de Jadis et Naguère inspire le titre, connaît trois périodes successives. D’abord intitulée Le Décadent littéraire et artistique, elle paraît chaque semaine du 10 avril au 4 décembre 1886 en format journal. Elle défend, comme toutes les jeunes revues d’alors, une esthétique de l’art pour l’art et publie à côté de débutants inconnus de rares textes des écrivains admirés comme Verlaine et Mallarmé. Mais, malgré sa bonne volonté, elle ne parvient pas à rassembler la jeunesse intellectuelle dont le mouvement se scinde en plusieurs groupes sous l’influence de jeunes chefs d’école concurrents (Moréas, Ghil) que Régnier hésite à suivre avant de s’en détacher assez vite. La seconde période de la revue, devenue bimensuelle sous le titre Le Décadent littéraire, compte 32 livraisons (décembre 1887-avril 1889). Elle s’ouvre à la publication d’un cahier critique, s’essaie à des mystifications littéraires qui lui portent préjudice et défend désormais des positions politiques, de tendance socialiste et anti-boulangiste. Ses principaux collaborateurs sont Laurent Tailhade et les amis de Moréas, les futurs poètes romans Ernest Raynaud et Maurice du Plessys, qui animent le cahier critique avant de rompre avec Baju. La dernière période prolonge la précédente sous le titre La France littéraire, philosophie, critique, sociologie, mais s’interrompt après trois numéros. Régnier, qui ne prend pas au sérieux ce qu’il juge être de la fumisterie intellectuelle, cherche aussi à se distinguer des essais dispersés de sa génération où chacun tire la couverture à soi. Voir Ernest Raynaud, La Mêlée symboliste, p. 63-100, et Yoan Vérilhac, Le Décadent, Dictionnaire des revues littéraires au XXe siècle, vol. I, p. 647-652. La revue est numérisée sur le site BNF Gallica.
PLLouis Arsène Delaunay (1826-1903), comédien spécialisé dans les emplois de jeune premier. Il débute au Gymnase (1845) avant d’être engagé à l’Odéon l’année suivante. Entré à la Comédie Française en 1848, il en devient le 269e sociétaire (1850-1887).
PLPhilibert Delorme (1863-1912) est un camarade du collège Stanislas, « un des plus gentils et des plus spirituels » (Cahiers, 9 août 1912), souvent cité dans les Cahiers et la correspondance. Amateur de théâtre, surtout de vaudevilles à la Henri Meilhac (1831-1897), dont il rêve d’imiter la réussite, il est souvent désigné comme le « comique » dans les lettres à Vielé-Griffin. Originaire de Cluny, il est l’un de leurs plus proches camarades de jeunesse, mais sa négligence à maintenir le contact entre eux, son impuissance créatrice et les circonstances de la vie finissent par les séparer.
PLAuguste Dorchain (Cambrai, 19 mars 1857-Paris, 7 février 1930) est un écrivain, un poète et un auteur de théâtre français. Il accomplit ses études secondaires à Rouen, puis étudie le droit à Paris, rapidement abandonné pour les lettres où il débute par un recueil de poésies, La Jeunesse pensive (1881), préfacé par Sully-Prudhomme et ainsi dédié « À mon très cher Maître, / François Coppée, / Je dédie, de tout cœur, ce petit livre. / A. D. » qui lui assura le succès et un prix de l’Académie française. D’autres recueils suivront: Sans lendemain, poésie (1890), Vers la lumière (1894), qui fut un nouveau succès. Sa volumineuse et perspicace étude L'Art des vers (1905) se lit encore comme un témoignage intéressant sur l’histoire du genre poétique, et sa biographie: Pierre Corneille (1918) rend hommage à cet auteur pour qui il avait une grande admiration. Il écrit pour le théâtre: des pièces: Conte d'Avril, musique de Charles-Marie Widor (1885), Rose d'automne (1895), Pour l'amour (1901), Le Puits, drame lyrique en deux actes (1902) et des à propos en vers: À Racine (1888), L'Odéon et la Jeunesse et Alexandre Dumas (1882), Stances à Sainte-Beuve et Ode à Michelet (1898), Chant pour Léo Delibes (1899). Il fréquenta les salons de Leconte de Lisle, de Coppée (de qui il fut très proche), de Heredia. Parnassien de stricte observance il publia le plus souvent chez Alphonse Lemerre, l’éditeur des Parnassiens. Il était officier de la Légion d’honneur. Henri de Régnier le cite à plusieurs reprises dans ses Carnets, notamment au sujet des candidatures, infructueuses, à l’Académie française. Il figure dans le tableau de Paul Chabas. Dans son Histoire du Parnasse (2005) Yann Mortelette ne retient pas Dorchain parmi les Parnassiens qui méritent de rester sur le devant de la scène poétique.
JLMAlbert Dubois-Pillet (1846-1890). Neveu d’un commissaire-priseur parisien, il entre à Saint-Cyr en 1865 et poursuit une carrière militaire traditionnelle d’abord dans la Garde impériale pendant la guerre avec la Prusse, puis dans l’armée versaillaise qui réprime la Commune. Nommé lieutenant (1872), puis capitaine (1876), il est affecté à l’Infanterie de ligne avant d’être muté à la Garde républicaine à Paris (1879). En même temps, peintre du dimanche, il envoie aux divers Salons des tableaux qui seront régulièrement refusés. En 1884 enfin, il réussit enfin à présenter au premier Salon des Indépendants plusieurs œuvres, dont L’Enfant mort, qui fait scandale et inspirera à Zola le personnage de l’enfant hydrocéphale de Claude Lantier dans L’Œuvre. Très lié à Seurat, Signac, Redon et Guillaumin, il fonde avec eux la Société des Indépendants, dont il devient le président jusqu’à ce que sa hiérarchie lui demande d’abandonner ce poste et de cesser d’exposer: « De hautes interventions de personnalités, appartenant comme lui à la franc-maçonnerie suspendent ces mesures et il continue, sans apparaître en nom toutefois, à gérer avec intelligence et passion les intérêts des Indépendants. » (Sophie Monneret) Dans Les Impressionnistes en 1886, Félix Fénéon fait l’éloge de sa « délicatesse de pastel ». Rallié au pointillisme sous l’influence de Seurat (dont il assure : « Je lui dois tout »), il produit des œuvres originales et très appréciées des critiques – portraits et paysages d’inspiration naïve (Paysage de la Grande Jatte) et parfois fantastique (Fête nocturne, 1889). « Toujours en éveil, inquiet, il cherche, il cherche, il chemine, courageux, plus, aventureux, vers la muse Certitude… » (Roger Gounod) Son atelier parisien se trouve en face de Notre-Dame, au 19 quai Saint-Michel, dans un immeuble où vivent et travaillent une vingtaine d’autres peintres – parmi lesquels Maximilien Luce (qu’Henri de Régnier rencontrera chez Gustave Kahn en mars 1890) et, plus tard, Albert Marquet et Henri Matisse. Nommé chef d’escadron de la Garde (1889), il est muté au Puy-en-Velay, où il devient le commandant des forces de gendarmerie de la Haute-Loire. Il meurt prématurément de la variole en 1890, à 44 ans, quelques mois avant Seurat. Il laisse le souvenir d’un homme cordial et cultivé.
FBÉdouard Dujardin (1861-1949) joue un rôle important à l’époque symboliste, en dirigeant La Revue wagnérienne (1885-1888), puis la troisième Revue indépendante (1888) à laquelle Régnier collabore, notamment avec ses « Soirs intimes et mondains ». Admirateur de Mallarmé, il publie à la librairie de la revue une édition photolithographiée d’après le manuscrit en neuf fascicules et à 47 exemplaires des Poésies de Stéphane Mallarmé (1887). Romancier avec Les Lauriers sont coupés (1888), monologue intérieur très novateur qui servira de modèle à James Joyce dans Ulysse, il est aussi le maître du drame symboliste avec sa trilogie de La Légende d’Antonia (1891-1893). Mais dandy, volontiers flambeur, Dujardin s’endette et se voit contraint de gagner sa vie dans la presse en rédigeant des annonces publicitaires. Il collabore notamment à Fin-de-siècle, un journal bihebdomadaire illustré, où il publie des « réclames » pour des préservatifs qui lui valent une condamnation pour offense à la morale publique (1894). Très lié avec Dujardin, à l’époque de La Revue indépendante, lieu de rassemblement des poètes de la nouvelle école, et lorsque tous deux fréquentent les mardis de Mallarmé et l’atelier du peintre Jacques-Émile Blanche, Régnier s’éloigne de lui au milieu des années 1890. Il consacre un article à sa pièce Le Chevalier du Passé dans les Entretiens politiques et littéraires (n° 28, juillet 1892, p. 31-34). Voir la Notice de la BnF.
PLThéodore Duret (1838-1927). Fils d’un notaire de Saintes, héritier d’une maison de cognac, journaliste, critique d’art et collectionneur, ami de Courbet, exécuteur testamentaire de Manet, il est l’un des premiers défenseurs et historiens de l’impressionnisme. Après avoir vainement tenté de se faire élire député de Saintes sous le Second Empire, sous l’étiquette « libéral non administratif », il est condamné pour avoir organisé une souscription en faveur d’un monument au député Baudin, tué sur les barricades parisiennes en 1851. Il collabore à des journaux d’opposition républicaine, notamment Le Globe et La Tribune française politique et littéraire de Camille Pelletan et Jules Ferry (où il fait entrer Zola, dont il partagera trente ans plus tard le combat pour faire reconnaître l’innocence de Dreyfus). Il devient maire adjoint du IXe arrondissement pendant la Commune de Paris et échappe de justesse à la répression versaillaise. Il effectue ensuite pour le compte du cognac Duret plusieurs voyages autour du monde et visite notamment les Etats-Unis, l’Egypte, l’Inde, l’Indonésie, la Chine et le Japon, où il séjourne en 1871-1872 en compagnie du banquier et collectionneur Henri Cernuschi et d’où il rapporte à la fois de nombreux objets, estampes, livres, et aussi la conviction que l’art japonais a fortement influencé les impressionnistes. Ayant définitivement renoncé à toute activité politique, non sans amertume (« Dans Paris, je ne suis plus ni acteur, ni citoyen, écrit-il à un correspondant. Qu’on m’accorde au moins les privilèges d’un spectateur payant, qu’on me laisse sur l’asphalte assister aux péripéties du spectacle et attendre le dénouement »), il se consacre désormais à la critique d’art et à rassembler une importante collection de tableaux de Renoir, Degas, Pissarro, Sisley, Monet et Manet, rencontré en 1865 lors d’un voyage à Madrid, qui le charge dans son testament d’organiser après sa mort une vente de tableaux et d’esquisses dans son atelier. Dans la préface au catalogue de cette vente, Duret écrit: « Mettez un Manet au milieu de Delacroix, de Corot, de Courbet, et vous l’y laisserez comme à sa place naturelle. » Dès 1867, il avait publié chez Dentu une Histoire des peintres français, où il traitait d’Ingres, de Courbet, de Manet, des naturalistes et aussi des « peintres de genre », de « l’art bourgeois » et de « l’art officiel », avant de conclure, montrant un pessimisme excessif: « Les plus grands sont morts, ceux qui restent encore sont vieux et déjà fatigués, et rien dans les générations nouvelles ne nous annonce qu’ils doivent avoir de successeurs. […] Puisque l’affaiblissement de notre école de peinture est aujourd’hui un fait acquis et malheureusement irrémédiable, tout ce que nous pouvons faire est de nous attacher de plus en plus à l’œuvre des maîtres qui nous restent, pour nous consoler de l’abîme de médiocrité qu’en cherchant à percer l’avenir on entrevoit pour les temps qui s’annoncent. » Onze ans plus tard, après deux ouvrages de souvenirs (Voyage en Asie et Histoire de quatre ans), il publie une Histoire des peintres impressionnistes (1878), qui sera régulièrement rééditée, car il s’agit d’un ouvrage de référence. Il y expliquait pourquoi le public était déconcerté par les œuvres des impressionnistes: « Elles lui offraient un système de coloris, une variété de tons, un éclat de lumière tout nouveaux, elles ne lui présentaient plus ces sites choisis, ces motifs arrangés, auxquels il était accoutumé, elles substituaient une touche large, des contours flottants aux lignes arrêtées traditionnelles. Ne possédant plus ces traits que l'habitude avait fait considérer comme essentiels dans toute œuvre d'art, elles faisaient naturellement l'effet de choses grossières, monstrueuses, de simples esquisses ou ébauches sans formes. » Il est également l’auteur d’un ouvrage sur l’art japonais (1882), dédié à Manet, qu’il place très haut (« C’est alors que Manet survint », dit-il); d’un essai intitulé Critique d’avant-garde (Charpentier, 1885), de plusieurs monographies de peintres (Manet, Monet, Reynolds, Gainsborough, Whistler, dont il sera le premier biographe), d’essais sur Wagner, Schopenhauer et Spencer. En 1894, à la suite de difficultés financières, il se séparera d’une grande partie de sa collection. La vente aura lieu à la galerie Georges Petit, le 19 mars: six Manet, trois Renoir, quatre Pissarro, trois Cézanne et trois Sisley seront ainsi dispersés. Renfloué, il fera ensuite don à la Bibliothèque Nationale et au Musée Cernuschi d’un important ensemble d’estampes japonaises et se consacrera désormais à la rédaction de nouvelles monographies consacrées à des peintres (Cézanne, Van Gogh, Lautrec et Renoir). « Il me semble avoir vécu cinq cents ans, confie-t-il avant de disparaître en 1927 à 89 ans. Encore une fois, je me tâte. En vérité, est-ce bien moi qui suis là? »
FBL’égoïsme est « fondamental de l’humanité » au sens où l’est en psychanalyse la pulsion d’autoconservation, que caractérise dans le Cahier V l’expression « [vivre] pour vivre » (NB 97): il survit à l’amour et à l’amitié (voir NB 381), c’est-à-dire à la pulsion, non moins fondamentale et nécessaire à la santé psychique – « À vivre en soi, on mourrait. » (NB 166) –, qui nous pousse vers autrui. Il y a là d’abord une donnée anthropologique qu’on ne saurait récuser sans méconnaître naïvement ce qui fait le fond de la nature humaine. Mais le discours de Régnier sur l’égoïsme, assez abondant dans les Cahiers, ne se borne pas à cette constatation, dénuée chez lui de toute implication morale: il tend au contraire à une double réhabilitation. Il y a d’abord égoïsme et égoïsme, dit Régnier en substance. Il « est une niaiserie si, en soi, ce n’est que soi qu’on aime, mais il s’élargit […] si, en soi, on n’aime que tout » (NB 309). C’est là l’idéal de l’artiste comme macro-anthropos, idéal que dessinent les Lettres diverses et curieuses écrites par plusieurs à l’un d’entre eux, avec la figure du sage Tiburce qui focalise un discours pluriel sur les péchés capitaux. Qu’il faille, pour faire une œuvre, « se résigner à la solitude de l’égoïsme » (NB 691), n’a pas dès lors à être condamné, à condition toutefois de ne pas en tirer prétexte pour s’abstraire entièrement des événements, comme y insiste le Régnier de la maturité, plus ouvertement conscient, dans le contexte de la Première Guerre mondiale, des dangers de la tour d’ivoire (voir NB 707). Sur un second plan, celui des relations interpersonnelles, Régnier voit dans l’égoïsme « une précaution prise par [sa] sensibilité » (NB 381), par sa peur d’être déçu par ceux qu’il aime. On se reportera, pour mieux cerner cet « égoïsme défensif » (NB 166), à la note qui a trait au projet littéraire d’un Égoïste voulu différent de celui – « vaniteux et suffisant » – de George Meredith: « Le mien sera l’Égoïste malgré lui, celui qui a tenté de sortir de soi, de se disperser dans autrui, de se donner, et que l’indifférence et l’ingratitude de ceux qu’il a voulu aimer ont ramené sur soi-même. Son égoïsme ne sera ni satisfait ni arrogant, ce sera un égoïsme désespéré. » (NB 623) Un autre égoïsme, moins désespéré, traverse néanmoins les Cahiers: celui qui permet à l’artiste de se survivre dans et par l’art. Dans une formule aux accents villiériens, Régnier déclare, à cet égard, ne pas craindre la mort dès l’instant qu’« à l’amas de nos cendres, elle mêle l’éternelle victoire de quelques pierreries » (NB 99): victoire pour soi, dans l’éternité d’un présent accompli, et non pour la gloire selon le monde. Oui, en somme, à un sain égoïsme, dirait encore Freud, non à la vanité, fût-elle métaphysique.
MBL’ekphrasis, ou description d’une œuvre d’art, est fréquente dans les Cahiers lorsque Régnier rend compte de tableaux, notamment à l’occasion d’une exposition, comme celles de Gustave Moreau ou Puvis de Chavannes). Or celle-ci est bien souvent une recréation, d’autant plus que la description a lieu in absentia et qu’elle se fonde sur le souvenir. À un degré supérieur d’affranchissement, Régnier décrit un tableau sans le dire (Puvis de Chavannes, Le Bois sacré, cher aux Muses et aux Arts), voire recourt à l’ekphrasis d’un tableau imaginaire comme s’il était déjà là, et non à une transposition d’art proprement dite, qui peint la nature comme un tableau, mais avec les moyens de l’écriture. Dans les années 1880, cette pratique est une véritable discipline d’écriture à laquelle s’astreint le jeune écrivain. [Notice à compléter.]
BVSouvent associé à l’atonie, à la mélancolie et à la tristesse, l’ennui caractérise surtout les périodes de marasme chronique que connut Régnier pendant ses jeunes années, jusque vers le milieu des années 1890. Le mot doit donc s’entendre dans son acception ancienne d’« abattement », mais doté d’une coloration toute moderne. De Chateaubriand à Baudelaire et Flaubert, l’ennui a conquis ses lettres de noblesse, à la fois dans la nosographie et la littérature. À l’ennui proprement dit s’associent chez Régnier la culpabilité et le dégoût de soi liés à l’incapacité de travailler. Il connaît aussi un « ennui noir et affolé », « plus terrible encore s’il prend la forme de l’agitation. » (NB 233 et 251) Pourtant, l’ennui est dépassé dès lors qu’il devient une figure allégorique au sein même de la poésie. Ainsi, dans Tel qu’en songe, « l’Ennui » « prend la main » à qui veut suivre la « Route ». Ce qui n’empêche pas le commentaire auto-dépréciatif: « Ce livre a pour sujet l’ennui et il ennuie. » (NB 291) Si Régnier nomme et décrit l’ennui, celui-ci est l’occasion d’un retour sur soi, mais aussi d’une tentative de définition plus large, le plus souvent par comparaison avec les notions de tristesse et de mélancolie. Les définitions seront reprises et affinées au fil du temps, en fonction de l’humeur du diariste et du point de vue adopté. Or la tentative obéit souvent à la tentation de l’aphorisme et emprunte la forme de la maxime, telle celle de 1891 (non précisément datée) : « L’ennui est un désaccord entre nous et les choses ; la tristesse est un désaccord avec nous-même. » (NB 261) Et encore, beaucoup plus tard : « La tristesse enveloppe, l’ennui pénètre. » (NB 656) La plupart de ces maximes seront ensuite extraites des Cahiers pour être recueillies dans Donc…. Voir : ATONIE, SOLITUDE, SPLEEN, TRISTESSE
BVPudique, Régnier n’est nullement pudibond, et l’érotisme tient une place importante dans ses préoccupations d’homme et d’écrivain. Ses contes en portent la marque et ils seront relayés par les romans. Ce sont eux qui lui valurent l’éreintement du comte Albert de Mun lorsqu’il dut prononcer le discours de réception de Régnier à l’Académie française le 18 janvier 1912. [Notice à compléter.]
BVL’Événement est un journal quotidien de tendance républicaine fondé le 6 septembre 1872 par Edmond Magnier (1841-1906), qui a dû quitter Le Figaro pour divergence politique sur la Commune, et Auguste Dumont (1816-1885), qui laisse Magnier seul directeur dès 1877. Dans les années 1880, la présence littéraire est assurée notamment par Félicien Champsaur et par Jean Lorrain qui consacre à Régnier un article sobrement intitulé Un poète (2 avril 1890) dont l’écho s’étend au-delà des limites étroites de l’avant-garde. Régnier, assez vite en quête de lisibilité, publie du reste deux sonnets de Sites dans le journal du 20 juin 1887. L’Événement ne cessera de paraître qu’en 1940.
PLHenri Fèvre (1864-1937), romancier sulfureux des mœurs rurales (Autour d’un clocher, avec Louis Desprez, 1884) et militaires (Au port d’arme, 1887), de type naturaliste, et auteur de pièces de théâtre représentées au Théâtre-Libre, comme L’Honneur (1890). Écrivain engagé, il publie des Indications politiques dans huit livraisons des Entretiens politiques et littéraires (10 avril-10 décembre 1893), à l’époque où Régnier et Vielé-Griffin s’en détachent. Voir Notice de la BnF.
PLLe Figaro, devenu quotidien en 1866 grâce à Hippolyte de Villemessant, l’un des fondateurs de la presse moderne, est le grand journal de la bourgeoisie et de la droite modérée, l’un des rares de son bord à mener campagne dès 1897 pour la révision du procès Dreyfus. Comme ses confrères, il ouvre abondamment ses colonnes à des figures de la littérature qui y publient des chroniques, des feuilletons littéraires et dramatiques, des poèmes, des contes et des romans. Régnier, qui collabore à L’Écho de Paris dès 1895 et au Gaulois dès 1898, n’entre qu’assez tardivement au Figaro. Il n’y publie guère avant 1914 que deux contes, deux séries de poèmes non inédits et la préface à des sonnets de son ami Jean-Louis Vaudoyer, tous dans le supplément littéraire. Après la guerre, il y affiche une présence beaucoup plus régulière avec son feuilleton, La Vie littéraire qui ne compte pas moins de 824 articles entre le 30 mai 1920 et le 23 mai 1936, le jour même de sa mort. Ce feuilleton, dont les lois strictes et les attentes du lectorat contraignent le critique à des acrobaties verbales, constitue une tribune redoutée et un portrait de la littérature de son temps, certes partiel et parfois réticent devant des innovations qui, tel le Surréalisme, choquent ses conceptions esthétiques, mais représentatif et souvent éclairant. Son caractère alimentaire, dont l’esclavage lui pèse beaucoup moins que celui qu’il s’était infligé à la chronique théâtrale du Journal des Débats (1908-1911), est compensé par l’ouverture intellectuelle qu’il lui permet et par l’occasion qu’il lui offre de mises en point esthétiques discrètes et de rappels autobiographiques plus discrets encore. En marge de La Vie littéraire, Régnier publie une dizaine de chroniques en première page entre 1922 et 1928, souvent des articles nécrologiques (Mme Bulteau, Alfred Capus, la duchesse de Rohan, Jean Richepin, Robert de Flers), ou consacrés à des écrivains dont il signale un prix ou un livre aux lecteurs (Henri Pourrat, Pierre Loti, Henri Béraud), parfois la réponse à des enquêtes. Une seule fois, dans cette période, il évoque un souvenir de voyage, une visite à Ferney et à Coppet (La Robe de chambre et le Turban, 2 octobre 1927), qui en annonce d’autres. Entre 1929 et 1932, il contribue en première page à de brefs billets qui, sous un titre partagé (Billet de minuit, L’Heure qui passe), tiennent lieu de notes d’humeur, mais restent nuancées, le plus souvent en marge de l’actualité qui sert plutôt de prétexte. Entre le 4 décembre 1932 et le 13 août 1934, Régnier publie une quinzaine de chroniques en premier-Paris : récits de voyage (Espagne, États-Unis, Rome) et de promenades nostalgiques dans Paris, souvenirs de jeunesse (une visite chez Goncourt à Auteuil, des après-midis avec son père sur les champs de course et à Versailles), mais aussi articles d’actualité (le cinquantenaire de la mort de Wagner, qui lui permet d’évoquer Judith Gautier, la disparition d’Anna de Noailles, « la voix qui s’est tue ») et notes rapides sur l’Académie. Quelques-unes d’entre elles seront reprises dans le recueil De mon temps (1933). Mais cette ultime période frappe aussi par la gravité des sujets traités. Passionné d’histoire, Régnier évoque des événements du passé qui peuvent rappeler des souvenirs vécus par lui-même ou par sa famille, mais qui, quand ils sont rattachés à l’actualité immédiate, disent toute son inquiétude devant l’arrivée d’Hitler au pouvoir (Les Trois Sièges de Vienne, 26 septembre 1933). Voir Pierre Lachasse, Des pleins et des déliés, les paradoxes du feuilleton du Figaro, Tel qu’en songe, Cahiers Henri de Régnier, 2015, et Henri de Régnier lecteur de l’histoire, Tel qu’en songe, Cahiers Henri de Régnier, 2018.
PLPour Régnier, Flaubert (1821-1880) appartient à « la grande trinité de 1820: Leconte de Lisle, Baudelaire et Flaubert » (NB 387), trois écrivains nés seulement deux générations avant la sienne, dont l’héritage fut déterminant pour la littérature mais qu’il n’a pas connus. Régnier voue à Flaubert en particulier une admiration sans réserve et indéfectible, paradoxale de la part d’un écrivain qui fut d’abord poète. Autre paradoxe : dans toute son œuvre, Régnier consacre à Flaubert en tout et pour tout un seul article – de journal – à l’occasion de la représentation du Candidat au théâtre de l’Odéon (Journal des débats, 9 mai 1910), vaudeville qu’il juge du reste une pièce manquée. L’œuvre de Flaubert néanmoins l’accompagne et le nourrit tout au long de sa vie, comme en témoignent fidèlement les Cahiers. Aux yeux de Régnier, les œuvres qui comptent le plus, et qu’il relit sans cesse, sont: L’Éducation sentimentale – plus que Madame Bovary, en quoi Régnier partage le sentiment de sa génération; La Tentation de saint Antoine, sans oublier celle de 1849, « la version romantique, toute d’éloquence et de lyrisme » (NB 846) ; enfin la Correspondance, dont il suit la parution, sans oublier les Notes de voyage qui lui inspirent cette réflexion : « la pensée à trois degrés : les notes, les lettres, les œuvres » (NB 644). On comprend que Régnier écrive : « Au fond, Flaubert est, avec Stendhal, le prosateur du XIXe siècle que j’ai le plus lu, dont je me suis le plus constamment préoccupé, celui dont la vie et l’œuvre me reviennent le plus souvent à l’esprit » (NB 655). Pourtant, c’est bien Flaubert qui vient en premier; et assurément, à lire les Cahiers, il compte plus que Stendhal, que Régnier avoue n’avoir « jamais admiré », car « sans correspondance avec [ses] manières personnelles de voir » (NB 222). À l’inverse, Flaubert remporte ses suffrages pour plusieurs raisons. La première tient à ce que Régnier goûte chez lui la démesure. Son admiration et l’usage qu’il fait de son œuvre ont donc fort peu à voir avec le supposé « réalisme » du romancier, mais bien plutôt avec l’idée d’une œuvre d’une puissance inouïe. En 1887, à propos de La Tentation de saint Antoine, Régnier place Flaubert avec Poe « parmi les [deux] œuvres littéraires hallucinées […] qui s’imposent » (NB 65) Ailleurs, un aveu paradoxal de Régnier – et hautement significatif – complète le propos et permet peut-être de lire Flaubert comme un poète en prose: « Au fond, j’aime mieux la poésie que les vers. » (NB 479). La deuxième raison, qui prolonge la première, tient à l’admiration pour le style de l’écrivain, style qualifié de « puissant et magique » (NB 785), mais souvent perçu dans sa composante mélancolique : « J’ai relu Flaubert. Ce que j’aime en lui, ce sont certaines cadences, certaines chutes de phrases, d’une mélancolie infinie qui ne sont qu’à lui. » (NB 627) On voit du reste que cette lecture, qui s’attache principalement au style, est en soi typiquement flaubertienne. Ainsi, les quelques lignes qui brossent un portrait de Flaubert dans les Cahiers cernent tout à la fois l’objet dépeint et le peintre, comme si Régnier jusqu’à un certain point – la vitalité surhumaine en moins – se reconnaissait en Flaubert, alors qu’une telle projection serait impossible avec Mallarmé ou Villiers de l’Isle-Adam, que Régnier fréquente à cette époque: « L’âme de Flaubert, cette âme d’ennui, de force, de tristesse rétrospective, a la mélancolie de ces vieux lierres séculaires, noirs et métalliques, qui tordent leur vitalité sombre aux pans de passé de quelque ruine légendairement surhumaine. » (NB 149). La troisième raison vient de la sympathie pour la probité de l’homme, vu comme une sorte de héros ou de saint par sa vie toute d’abnégation vouée à la seule littérature, dont il donne « le sentiment le plus noble » (NB 252), quitte à susciter chez Régnier parfois « honte et remords »: « Voilà donc ce qu’il a souffert pour son art, ce qu’il lui a sacrifié! Et nous? » (NB 624) Cette absolue cohérence d’une vie et d’une vocation d’écrivain, tout comme la puissance de l’œuvre suscitent en Régnier quelque chose qui se rapproche d’un sentiment de sublime. Si impressionnant que soit le modèle, et si différentes soient les voies choisies par Régnier pour le roman, comment ne pas penser que Flaubert resta pour Régnier une boussole et un idéal, et qu’il ne fut pas étranger au passage de Régnier de la voie du poème à la prose du roman ?
BVTony Froc (né en 1865) est l’un des camarades du collège Stanislas que Régnier fréquente encore après la fin de leurs études. Ils pratiquent quelque temps l’escrime ensemble. D’abord destiné à Saint-Cyr, Froc y renonce assez vite pour travailler dans une étude d’avoué à Paris. Régnier, qui caractérise souvent ses amis par des périphrases ironiques, désigne Froc, amateur de chasse et d’humeur taciturne, comme le « tueur de vilaines bêtes » et « l’inventeur du silence » (voir sa Correspondance (1883-1900) avec Francis Vielé-Griffin, p. 327 et 489)..
PLRégnier est un familier de l’œuvre de Théophile Gautier (1811-1872), qu’il relit tout au long de sa vie. L’homme lui-même, le « bon Théo », lui demeure très présent à travers les conversations de Mallarmé, de Heredia et de sa fille Judith qui conserve pieusement dans son appartement de la rue Washington de nombreux objets lui ayant appartenu. Mallarmé évoque devant lui son éloquence « précise, cynique et truculente » et le contraste croissant à la fin de sa vie entre sa douceur apparente et une amertume qui l’entraîne à des violences verbales (Cahiers, mars 1889, Cahier IX/196v/2-15 [167-168]). À l’occasion du centenaire de la naissance du poète, Régnier publie un article, Théophile Gautier et Jose-Maria de Heredia (recueilli dans Portraits et Souvenirs, 1913, p. 77-84), dans lequel il célèbre sa connaissance de la langue et la minutie de son art, son sens de la concision, ses stricts procédés de composition et son « sobre raccourci de pensées et de métaphores » qui inspirent le travail des Trophées. Régnier aime Émaux et Camées « en leur afféterie concise et leur solide structure poétique » (Cahiers, 23 octobre 1922, 1922/118/17-18 [790]) et, plus largement, toute son œuvre poétique moins impassible qu’on ne le croit, qui laisse percer çà-et-là des « impressions intimes » (Cahiers, juillet 1932, 1932/6/12 [853]). Mais il est plus réservé à l’égard de son œuvre en prose dont il juge « vains » les efforts de style (Cahiers, novembre 1888, Cahier VIII/167v/18 [151]) et dont la perfection sans « arrière-écho » ne suggère pas l’indicible qui donne son prix et son mystère à la beauté d’un texte (Cahiers, septembre 1893, Cahier XIX/142v/10 [352]). Il cite pourtant Mademoiselle de Maupin parmi les lectures de Georges Dolonne, le jeune héros des Vacances d’un jeune homme sage (1904, p. 33-34), qui y découvre l’appel du désir. Ainsi la prose de Gautier peut-elle servir d’initiatrice, comme c’est aussi le cas pour le Voyage en Espagne qui lui donne le désir du pays et dont il suit en partie l’itinéraire au point de susciter dans son propre livre En Espagne (2017) des échos d’un texte à l’autre. À Venise aussi, Régnier retrouve Gautier dont, assis « sous le Chinois », il évoque les vers italiens à l’impassibilité apparente « toute pénétrée d’amour discret » (L’Altana, 2009, p. 123) et à qui il adresse en échange un long poème célébrant leur amour commun pour la Sérénissime (voir Vestigia Flammæ,OHR VI, Mercure de France, 1929, p. 155-158). Enfin Gautier est, comme lui-même, un « forçat du feuilleton » voué au « labeur alimentaire ». À la parution de Théophile Gautier, d’Adolphe Boschot, l’éditeur moderne de ses œuvres, il rappelle dans son propre feuilleton (Le Figaro, 18 mars 1934) l’importance capitale de ce maître de Baudelaire devenu une figure « si injustement négligée », comme il indiquait jadis dans celui des Débats (24 août 1908) son rôle de lien entre le Romantisme et les générations poétiques de la seconde moitié du siècle.
PLRené GHIL (1862-1925), auteur du Traité du Verbe en août 1886, précédé d’un Avant-dire de Mallarmé, dont il se réclame un temps avant de s’opposer à lui. Dans la foulée
de son manifeste, en janvier
1887, il fonde une revue, les Écrits pour l’art. Régnier collabore à quelques numéros avant de
reconnaître son incompatibilité avec Ghil qui développera l’esthétique de l’instrumentation
verbale dans son œuvre future.
René
Guilbert, dit René Ghil (1862-1925), fait partie du groupe des anciens élèves du lycée
Fontanes (devenu Condorcet en 1883), qui
contribua à la naissance du Symbolisme, avec André Fontainas, Pierre Quillard, Éphraïm
Mikhaël, Rodolphe Darzens, Stuart Merrill et
Georges Vanor. En août 1886, il publie le Traité du Verbe, un étrange volume in-40, précédé d’un
Avant-dire de Mallarmé, qui se présente comme le manifeste de la nouvelle école poétique. Aussitôt,
son
rival Jean Moréas lance dans le supplément littéraire du Figaro (18 septembre 1886) son propre
manifeste. Mais, au-delà d’une même volonté de défendre après Verlaine l’urgence d’un
vers musical et après Mallarmé la nécessité d’une
poétique de la suggestion, ils s’opposent sur l’essentiel: du côté de Moréas l’idéalisme,
de celui de Ghil le matérialisme scientifique.
Cette scission dans un mouvement littéraire à peine né se réalise dans la création
de revues nouvelles: l’éphémère Symboliste, pour les amis de Moréas, dont Paul Adam et Gustave Kahn, les Écrits pour l’Art, pour ceux de Ghil, parmi lesquels ne subsiste guère que Stuart Merrill. Privés de
Lutèce, Régnier et Vielé-Griffin sont alors à la recherche d’une revue. Régnier, qui collabore
au Scapin, lui-même agonisant, rencontre dans les bureaux du secrétaire Alfred Vallette Ghil
qui lui
propose de contribuer à la nouvelle revue. Les Écrits pour l’Art, au titre neutre, en se plaçant
« sous la présidence nominale de Mallarmé », semblent le lieu idéal pour Régnier,
mais le choix tient du malentendu. Il participe,
certes, faute de mieux à toutes les livraisons de la première série (janvier-juin
1887), mais les motifs de mésentente sont légion,
d’autant que Ghil montre un autoritarisme vite pénible. Ghil développe la théorie
de l’instrumentation verbale fondée sur les thèses
darwinistes et sur les travaux consacrés par le physicien allemand Helmholtz à l’acoustique,
d’où est issue la théorie des voyelles que
lui-même exploite après Rimbaud. Il s’agit pour Ghil de créer, non une succession
de recueils, mais une « Œuvre-une » synthétique et
universelle qui engage aussi une vision philosophique et sociale du monde. Il rompt
donc dès 1887 avec Mallarmé dont il refuse
l’idéalisme et avec le mouvement poétique en construction dont il dénonce le lyrisme
personnel et la tendance au spiritualisme. Voir
Pierre Lachasse, Écrits pour l’Art, Dictionnaire
des revues littéraires au XXe siècle, p. 235-240 et Notice de la BnF.
François Jules Edmond Got, plus connu sous le nom Edmond Got, (Paris, 1er octobre 1822 – Paris, 20 mars 1901) est un acteur et un librettiste français. Destiné au droit, il abandonne cette discipline au profit de l’art dramatique. En 1850 la Comédie française, où il était entré en 1844, le reçut en tant que sociétaire. Il en fut le doyen de 1873 à 1894 et il joua dans près de soixante-dix pièces. On lit avec intérêt – mais aussi avec un certain recul – les deux volumes de son Journal (1910) publiés par son fils Médéric: parfois très auto-justificatif, ce Journal contient cependant d’intéressants détails sur la vie théâtrale dans la seconde moitié du XIXe siècle, contée non sans émotion par passages. Dans sa préface au Journal de Got, Henri Lavedan écrit: « Sincère, sans façon, rapide et varié, tel qu’il est son journal plaira. Il dégage l’estime. Il rappelle à tout bout de champ la probité intellectuelle et morale de son auteur; il ajoutera encore à la considération dont le doyen de la Comédie-Française était entouré – par les preuves et les témoignages qu’il fournit d’une nature impulsive et droite, d’un vigoureux caractère. C’était un homme du Danube. » Interprète consciencieux et scrupuleux du répertoire classique, il créa aussi de nombreuses pièces d’auteurs contemporains, dont Le Fils de Giboyer (1862) d’Émile Augier dans lequel il tenait le rôle titre et qui dut son succès à l’interprétation de Got. Celui-ci commente ainsi la première de cette pièce, le 2 décembre 1862 – et cela ne manque pas de perspicacité: « C’est une grosse machine, presque une machine de guerre, satirique, politique, sociale, et qui va soulever l’océan clérical en tempête. Je crois pourtant l’œuvre assez forte pour résister, et puis, en France, toute attaque nette à l’hypocrisie et à ses privilèges n’est-elle pas presque un laissez-passer pour la postérité? […] Depuis avant-hier le courage du coup à tenter m’a relevé, et je crois que j’y suis. J’ai foi du moins, et c’est déjà tant. […] Beaucoup de résistance prévue; mais succès, succès évident et profond. La pièce a été bien jouée par tout le monde. C’est assez le sort des bonnes pièces, soit dit par parenthèses. » (Journal d'Edmond Got, t. 2, p. 29-30) Got laisse le souvenir d’un artiste tout entier dévoué à son art et à ses amis auteurs de théâtre, mais aussi pourvu d’un caractère parfois difficile et entier. Henri de Régnier porte un jugement négatif sur Got.
JLMCharles Gounod (Paris, 17 juin 1818-Saint-Cloud, 18 octobre 1893), compositeur français. Après des études classiques il entre au Conservatoire de Paris où il étudie l’harmonie et la composition. Titulaire du Grand Prix de Rome en 1839, il se passionne pour la musique religieuse. À son retour en France il devient organiste titulaire à l’église des Missions étrangères à Paris. Cela ne l’empêche pas de composer pour l’opéra: de la quinzaine d’œuvres lyriques on retient surtout Sapho (1851), Faust (1859), Philémon et Baucis (1860) – Henri de Régnier y fait allusion dans ses carnets en 1887 – Mireille (1864), Roméo et Juliette (1867), Polyeucte (1878), qui ont souvent connu des succès exemplaires. La musique religieuse et les mélodies sont abondantes. On lit toujours avec plaisir ses Mémoires d’un artiste (1896). Gounod est l’un des meilleurs représentants de la musique française au XIXe siècle, par le coulé mélodique et la subtilité de son orchestration, par son sens de la scène opératique aussi – Faust et Mireille en sont en ce sens deux des meilleurs exemples. Henri de Régnier écrit de lui, en août 1893: « La stature est solide; le visage gai, avec de fausses rides de pensée au front. Avec sa barbe blanche, il a l’air d’un docteur Faust d’opéra, d’un Faust comme il l’a rêvé: rigoleur et noceur. » (NB, 345)
JLMEdmond Haraucourt (1856-1941), poète de La Légende des sexes (1882) et du célèbre Rondel de l’adieu (1890), est l’une des bêtes noires des Entretiens politiques et littéraires. Régnier, qui l’a connu aux Hydropathes et aux dîners de La Jeune France, fréquente
quelque temps ses jeudis qu’il juge réservés aux « poètes bien-pensants » (lettre
à Vielé-Griffin 6 octobre 1887, leur Correspondance, p. 271), mais où il rencontre tout de même Félicien Rops. Les Cahiers
n’évoquent guère Haraucourt que sur le mode de l’ironie, voire de la charge. [PL]
Edmond HARAUCOURT (1856-1941): Notice de la BnF
Doué pour tout, selon son ami André Foulon
de Vaulx, « né “poète lauréat”, tout d’abord adapté aux cantates et, pour qui, dès
sa première jeunesse, les méchants vers n’eurent
aucun secret » selon Laurent Tailhade, Haraucourt est poète, homme de lettres, auteur
dramatique, romancier, conteur, critique,
journaliste, parolier, librettiste tout en occupant les postes de conservateur des
musées de Sculpture comparée du Trocadéro (1894-1903)
et de Cluny (1903-1925). Il préside la Société des Poètes français (1907-1910), la
Société des Gens de Lettres (1920-1922) et la
fondation Victor Hugo (1928-1941). Et pour prix de ses multiples activités, il devient
en 1937 Grand officier de la Légion d’honneur.
Grand amateur de bicyclette, ses amis lui font souvent remarquer qu’il serait plus
convenable d’ôter le ruban rouge lorsqu’il enfourche
sa machine. La poésie d’Edmond Haraucourt est directement influencée par Victor Hugo,
pour la forme, et Alfred de Vigny, pour la pensée.
Mais Haraucourt sait être facétieux, il entame sa carrière d’auteur sous le pseudonyme
de Sire de Chambley avec La Légende des sexes, poèmes hystériques et profanes (1882) qui annonce déjà les calligrammes
d’Apollinaire. Son œuvre de prose témoigne d’une grande subtilité de forme et d’analyse.
Dans Dieudonat (1912), sorte de roman philosophique proche de certains contes de Voltaire, Haraucourt
présente un personnage –
véritable concentré humain – qui passe par une succession d’aventures toutes pourvues
d’une moralité: « l’être d’exception ne peut vivre
qu’en solitude » ou bien encore « le malheur s’attache à celui qui ne ressemble pas
à tous: il est nuisible à son insu » et parvient à
cette conclusion: « la double sainteté de l’homme, c’est l’Effort et la Pitié ». Ailleurs,
dans Le Livre de mon chien,
Haraucourt exprime tout son amour et sa sensibilité pour les animaux et constate la
supériorité de l’animal sur l’homme. Son poème
Rondel de l’adieu (Seul, 1890) est mis en musique en 1902: «
Partir c’est mourir un peu,/ C’est mourir à ce qu’on aime:/ On laisse un peu de soi-même/
En toute heure et en tout lieu. [VG] »
Fils de Simon Hayem, juif alsacien fondateur de la « maison du Phénix », manufacture de chemises, faux cols et cravates, Charles Hayem (1839-1902) quitte l’entreprise paternelle le 31 décembre 1877 pour se consacrer exclusivement à l’art et à la constitution d’une collection. Malgré ses intérêts artistiques et son mariage en 1864 avec Amélie Mélanie Franck, fille du philosophe et membre de l’Institut Adolphe Franck, il garde longtemps l’image de « chemisier » dans la presse antisémite, particulièrement virulente durant l’Affaire Dreyfus (Gaston Mery, Au jour le jour. Charles Hayem et Gustave Moreau, La Libre Parole, 30 janvier 1899). Il a l’occasion de rencontrer de nombreux artistes et hommes de lettres à Saint-Gratien chez la princesse Mathilde Bonaparte et dans la propriété familiale, à l’exemple de Barbey d’Aurevilly, qui l’appelle « le gourmet intellectuel » et qui lui ouvre les portes des cercles littéraires. Décrit par Thiébault-Sisson comme « le type achevé de l’amateur, […] qui s’est fait son éducation parmi les artistes, qui vit en rapports journaliers avec eux, qui connaît leur fort et leur faible » (Au jour le jour. Charles Hayem et ses Gustave Moreau, Le Temps, 6 mai 1898), Charles Hayem parcourt les Salons et les galeries (surtout celles de Georges Petit, Durand-Ruel et Allard et Noël) à la recherche de nouveaux talents. Il achète des toiles de Bastien-Lepage, Cazin, Raffaëlli, Fantin-Latour et des peintres juifs E. et H. Lévy. Il acquiert aussi des œuvres de Jules-Élie Delaunay, de Henner (il fut le modèle de son Saint Jean-Baptiste, 1877) ; il est l’un des premiers collectionneurs des impressionnistes, surtout des toiles de Monet, de Pissarro et de Boudin. Cependant la réputation de sa collection est principalement liée au nom de Gustave Moreau, dont il fait la connaissance vers 1873, l’année où il achète sa première œuvre, Le Calvaire, probablement par l’intermédiaire de Jules-Élie Delaunay, ami de l’artiste et auteur d’un portrait de lui (1865). La notoriété de Hayem est due au fait que Moreau, après le triomphe de Galathée et d’Hélène au Salon de 1880, ne participe plus aux expositions publiques, ce qui limite la visibilité de sa production, rendue célèbre par le roman À rebours de Huysmans (1884). La visite de sa collection devient incontournable, après que le couple eut déménagé en 1882 dans un « grand et bel appartement [au 84] boulevard Malesherbes » afin de « pouvoir donner asile [aux] 19 aquarelles » du peintre (lettre à Moreau du 13 mai 1882). En 1889, Paul Leprieur présente Charles Hayem, avec Antony Roux, à Marseille, comme « le plus riche collectionneur de Moreau : il n’en possède pas moins de trente-cinq ou quarante, tant aquarelles que tableaux ; c’est tout un musée. » (Paul Leprieur, Gustave Moreau, L’Artiste, mars 1889, p. 163, note n°1) À la fin de sa vie, il en compte une soixantaine, dont onze conservées dans sa propre chambre, le reste étant réparti dans l’appartement du second étage au-dessus de l’entresol, dans lequel le visiteur déambule en sa compagnie. En mai 1887, Régnier se rend par deux fois chez lui, avant d’écrire un article sur Huysmans à l’occasion de la parution d’En rade (J.-K. Huysmans et son roman En rade, Écrits pour l’art, 7 juin 1887). Conscient de la renommée de l’artiste qui vient de mourir, le 17 mai 1898, en pleine affaire Dreyfus, Hayem fait donation au Musée du Luxembourg de quatre aquarelles et d’une peinture du maître, et en promet d’autres. En janvier 1899, une exposition du don Hayem est inaugurée dans une salle à part. Parmi les 15 tableaux de Moreau sur les 42 exposés se trouvent Le Calvaire et L'Enlèvement d'Europe (aujourd’hui au musée d’Orsay), en plus de nombreuses aquarelles, actuellement conservées au cabinet des Arts graphiques du musée du Louvre : L'Apparition, Œdipe et le Sphinx, Le Jeune Homme et la Mort, L'Amour et les muses, Venise, Salomé dansant ou Salomé à la fleur de lotus, Les Plaintes du poète, La Péri, Samson et Dalila, Chute de Phaeton : projet de plafond, Bethsabée et la Vierge de pitié. Le reste de sa collection, léguée à sa mort à sa femme fera l’objet d’une vente en 1924. (Voir Benjamin Foudral, Charles Hayem (1839-1902) ; un collectionneur mécène à la recherche d’une légitimation sociale, Cahiers d’Histoire de l’Art, 2014 ; id., L’Inventaire après décès de Charles Hayem (1839-1902), collectionneur-mécène, Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français, 2014; Véronique Long, Les collectionneurs juifs parisiens sous la IIIe République (1870-1940), Archives juives, vol. 42, 2009).
JD #SRLéon Hennique (1852-1935), romancier naturaliste, proche de Zola avec qui il collabore
aux « Soirées de Médan » et familier de
Goncourt. Il applique les mêmes principes esthétiques dans son théâtre représenté
entre autres au Théâtre-Libre et à l’Odéon. Régnier,
qui estime son roman Un caractère (1889), consacre à son œuvre dramatique deux recensions, la
première à L’Argent d’autrui, qui est « loin d’être une bonne pièce » ([L'Argent d'autrui de L. Hennique], Entretiens
politiques et littéraires, 25 février 1893), la seconde à Jarnac, un drame historique écrit en
collaboration avec Johannès Gravier, qu’il apprécie vivement ([Jarnac de L. Hennique et J.
Gravier], Le Journal des Débats, 22 novembre 1909). Hennique, membre de
l’Académie Goncourt à sa fondation. est « un écrivain que nous aimons et qui est un
des meilleurs de la génération médanienne ». [PL]
Romancier naturaliste, auteur dramatique et membre de l’Académie Goncourt, Hennique,
qui signe parfois du pseudonyme de
Mayneville, est un auteur prolifique à succès. Ami proche d’Émile Zola, dont il se
détourne au moment de l’affaire Dreyfus, et
contributeur des Soirées de Médan (1880), il est exécuteur testamentaire et colégataire
avec Alphonse Daudet d’Edmond de Goncourt et œuvre ardemment pour la fondation de
l’Académie Goncourt qu’il préside de 1907 à 1912. Voir
Notice de la BnF. [VG]
Régnier est introduit au printemps 1888 aux samedis de José-Maria de Heredia (1842-1905), 11bis rue Balzac, par Bernard Lazare et Éphraïm Mikhaël rencontrés aux mardis de Mallarmé. Ces deux pôles de l’avant-garde, d’une égale émulation intellectuelle, fréquentés souvent par les mêmes personnes, se distinguent toutefois par leur type de sociabilité. À l’austérité de la rue de Rome, s’opposent la fantaisie et la liberté de ton de la rue Balzac qui séduisent le néophyte, devenu le disciple préféré de chacun des deux maîtres: « Mallarmé m’a, si on peut dire, nettoyé l’esprit; j’en ai été affiné et ankylosé. Puis j’ai subi les contacts plus vivants d’Heredia » (Cahiers, janvier 1895, p. 418). Régnier évoque souvent la générosité et l’accueil chaleureux de « cet homme excellent que j’aime pour lui-même d’abord et ensuite pour son extrême bienveillance à mon égard » (lettre à Francis Vielé-Griffin, 1er août 1890, leur Correspondance, p. 461). Leur relation devient, en effet, vite filiale comme le montrent aussi leurs lettres. Heredia sait apaiser Régnier dans ses moments de spleen, de doute ou de stérilité et lui offre une seconde famille que son mariage avec Marie (15 octobre 1895) concrétisera. Il l’introduit chez Leconte de Lisle (8 décembre 1888) et à La Revue des deux mondes (15 janvier 1896), où il doit vaincre les préventions de Brunetière, et le reçoit l’été au Croisic (septembre 1892) et à Blanche-Couronne (août 1895). Régnier, de son côté, l’aide à organiser l’ordre des Trophées (1893) et à préparer son discours de réception à l’Académie (30 mai 1895) où, devant prononcer l’éloge de Charles de Mazade dont il ne connaît que le livre sur Lamartine, il l’incite à recentrer son propos sur le poète des Méditations. Leur affection se construit et mûrit malgré leurs divergences esthétiques, du reste appelées à se nuancer. Le maître parnassien reproche au poète d’Apaisement « quelques césures et quelques rimes contestables » (13 décembre 1886) et, si Régnier semble penser qu’« en dehors des douze syllabes rien n’existe pour lui » (lettre à Vielé-Griffin, 23 octobre 1888, p. 327), il célèbre aussi son ouverture d’esprit: « quoiqu’il eût en art des idées personnelles très arrêtées, il était d’une intelligence singulièrement libérale et compréhensive » (Vues, Le Divan, 1926, p. 69). Heredia accueille, en effet, avec chaleur Tel qu’en songe, dont le vers libre se situe aux antipodes de l’alexandrin parnassien et, dans sa réponse à l’enquête de Jules Huret, il reconnaît à Régnier « de magnifiques dons de poète qui seront visibles pour tout le monde le jour où il se débarrassera des langes du Symbolisme » (L’Écho de Paris, 7 mai 1891). Il existe une opposition de nature entre Parnasse et Symbolisme, mais Régnier se risque dans ses recueils suivants à une sorte de cohabitation des deux prosodies, réservant le sonnet et le vers régulier à la poésie objective et le vers libre à l’expression des relations subtiles entre le moi et le monde, comme pour signifier sa dualité intérieure. Après la mort de son beau-père, Régnier l’évoque souvent dans des écrits de circonstance qui, au-delà de l’hommage rendu, éclairent son art et rappellent des souvenirs communs. Dans un article du Gaulois (« En marge », 30 janvier 1907), en réponse au discours de Barrès, son successeur à l’Académie, qui ironise sur son origine étrangère, il montre ses liens étroits avec la tradition poétique française en valorisant son hérédité maternelle, son goût pour la culture et les paysages français, son sens de la langue et de la concision qui l’apparente à Ronsard et à Du Bellay (voir Portraits et Souvenirs, p. 68-76) comme à Chénier et à Leconte de Lisle. Sa double hérédité et son parcours personnel, de Cuba à Senlis et à la Bretagne, contribuent à fonder l’originalité de son œuvre qui mêle la « fougue hispanique » et la « mesure française » (Le Figaro, supplément littéraire, 17 octobre 1925). Régnier insiste aussi sur la familiarité de Heredia avec Gautier dont il retient le « don plastique et pittoresque » et la maîtrise du sonnet (« Théophile Gautier et José-Maria de Heredia, Portraits et Souvenirs, p. 77-84) qu’il pratique lui-même pour lui rendre hommage (voir Œuvre de Henri de Régnier, vol. VII, p. 221 et 306). Après la fondation du Prix Heredia créé par l’Académie pour récompenser un livre de sonnets (7 janvier 1926), il évoque encore le souvenir de son accueil et de sa bonhomie et décrit en détail l’appartement de la rue Balzac dans un article nostalgique de La Revue de France (15 février 1926) repris dans Vues (p. 63-71), puis dans Nos rencontres (p. 21-33).
PLErnest d’Hervilly (1839-1911), poète parnassien, collaborateur du recueil collectif Sonnets et Eaux-fortes (1868), puis des second et troisième Parnasse contemporain (1869, 1876). Après la guerre franco-prussienne et la Commune, il se rapproche du groupe des Vilains Bonshommes où il côtoie Verlaine et Rimbaud tout en continuant de collaborer à des revues parnassiennes comme La Renaissance littéraire et artistique, d’Émile Blémont (1872-1874). Il écrit aussi des récits et des comédies en un acte, dont l’une, La Belle Saïnara (1876), est créée à la Comédie-Française. Doué d’un réel talent de fantaisiste et d’opinion républicaine, il se classe à part parmi les Parnassiens. Il est représenté dans le portrait de groupe de Fantin-Latour, Un coin de table (1872), qui réunit les participants aux dîners des Vilains Bonhommes.
PLHenri de Régnier semble entretenir un rapport ambivalent avec Joris-Karl Huysmans (1848-1907), magistralement analysé par Philippe Barascud et Olivier Bivort (M. de Régnier contre J.-K. Huysmans). Si, en 1885, il lui adresse son premier recueil, Lendemains, l’année suivante il publie dans le journal Lutèce « Biographie » (25 août 1886), un bref récit parodique et grotesque, où il raconte les péripéties d’un jeune homme bouleversé par la lecture d’À rebours. Cela ne l’empêche pas d’envoyer à son auteur Apaisement, son nouveau recueil, et d’écrire en 1887 un compte rendu dithyrambique d’En Rade, où il dépeint la prose « impérative et savamment descriptive », les « fulgurants vocables » et le « luxe inépuisable d’expression adéquates » qui font du livre « l’un des plus beaux, des plus précieux et digne de l’écrivain, si haut entre tous par sa scrupuleuse conscience et son complexe et captivant talent » (Huysmans et son roman En Rade). Ce seront les derniers éloges: à partir de la fin de 1889, Régnier émet des réserves de plus en plus grandes sur l’œuvre de son confrère qu’il qualifie dans son journal intime d’« imbécile » (octobre 1889). L’année suivante, il lui fera son dernier envoi avec Poèmes anciens et romanesques. Dégoûté par son « bas mysticisme » (note de juillet 1892) à la suite peut-être de la lecture de Là-bas, il écrit en août 1892 un article assez violent où il compare Huysmans à « une chèvre malingre », et où il souligne son « impéritie de pensée », son « enfantillage intellectuel » même s’il en loue toujours le « style extraordinaire » « pointillé d’épithètes décisives » (Portrait). En 1901 il est moins acrimonieux: dans le Gaulois il caractérise le personnage de des Esseintes comme un délicat dans lequel tout homme peut se reconnaître et il ne manque pas de louer le côté décoratif de la prose de Huysmans (La Sandale, 10 octobre 1901). Quinze ans plus tard, cette séduction stylistique n’opère plus: la laconique note intime à propos de la médiocrité d’À vau-l’eau (17 septembre 1917) trouve un écho dans un compte rendu où Régnier avoue « ne pas goûter l’art étroit » de son confrère (La Vie littéraire [Huysmans], 6 janvier 1925). Cependant la véritable condamnation n’a lieu que quelques années plus tard lorsqu’il caractérise le style de Huysmans comme « pénible » à cause d’une phrase « volontiers cacophonique », même s’il atténue la dureté de son jugement en déclarant, quelques lignes plus loin, que ses romans ont « de l’ingéniosité et de l’accent » (La Vie littéraire [Huysmans], 10 décembre 1929). Ce revirement stylistique le porte à revenir sur ses remarques de 1892: en abjurant son ancienne admiration, il décrit la prose de Huysmans comme « une sorte de mosaïque verbale aux couleurs et aux sons mal assortis », un « sabbat de la syntaxe » (La Vie littéraire [Huysmans], 24 novembre 1931). Aussi profite-t-il de l’occasion pour ajouter que Huysmans, plus qu’un romancier, est un mémorialiste, car tous ses romans sont « autobiographiques, ou, pour mieux dire, autopsychologiques »: c’est pourquoi il le voit comme « un prédécesseur de M. Proust ». Cette dernière considération ne l’empêchera pas de désigner Huysmans comme un écrivain « plutôt curieux que grand » en soulignant le peu d’attrait qu’il prouve pour ses romans catholiques, surtout pour La Cathédrale (La Vie littéraire [Huysmans], 22 juin 1935) dont il avait déjà défini la symbolique chrétienne « inepte » (journal, 1er janvier 1898). D’ailleurs, il ne manque pas de reparler de son « détestable style », qui un mois plus tôt dans son journal l’avait poussé à s’exclamer: « s’il y a un enfer du style, Huysmans y est » (14 juin 1935).
SRL’hypallage (subst. féminin) procède selon l’étymologie à un échange ou transfert
de caractérisant(s). On lit par exemple une double
hypallage dans le vers célèbre de Virgile: « Ils allaient obscurs dans la nuit solitaire
» (Ibant obscuri sola sub
nocte). Plus largement, selon Pierre Guiraud, « le procédé relève de l’esthétique du vague;
il tend, en supprimant tout
caractère de nécessité entre le déterminé et le déterminant, à libérer ce dernier.
» (cité par Bernard Dupriez, Gradus, p. 236) Il faut aller encore plus loin. Car non seulement le déterminant échappe
à un emploi attendu
par la sémantique et/ou la syntaxe (« Ils allaient solitaires dans la nuit obscure*
»), mais l’hypallage libère, grâce à un emploi
inusité, un nouveau potentiel sémantique – que l’on peut dire poétique. C’est pourquoi
elle devient une des figures privilégiées de la
poésie moderne. On pense au vers fameux de Verlaine : « Il faut aussi que tu n'ailles
point / Choisir tes mots sans quelque méprise. »
(Art poétique, Jadis et Naguère) En régime symboliste en particulier,
lequel tend vers un emploi généralisé de la figure, son usage devient plus complexe.
Ce sont d’abord les substances (les noms) qui sont
reléguées au second plan par les termes caractérisants. Il en résulte une dissolution
des choses au bénéfice des qualités, des
sensations, ou encore des mouvements. Il faut encore citer Verlaine, cette fois dans
Sagesse :
L'échelonnement des haies
Moutonne à l'infini, mer
Claire dans le brouillard clair
Qui sent bon les jeunes
baies.
Des arbres et des moulins
Sont légers sur le vert tendre
Où vient s'ébattre et s'étendre
L'agilité des
poulains.
Le nom abstrait (« échelonnement ») devient sujet d’un verbe de mouvement qui relègue
le terme concret (« haies ») au
rang de complément déterminatif. Même procédé dans les deux derniers vers cités où
la caractérisation (« l’agilité ») vient prendre la
place du sujet attendu (« poulains ») : « c’est un substantif abstrait qui devient
le sujet des verbes de mouvement. Dans cette
construction, parfois appelée “caractérisation impressionniste”, l’objet n’est plus
que le support d’un mouvement. » (Catherine
Fromilhague et Anne Sancier-Chateau, Introduction à l’analyse stylistique, p. 162) C’est
pourquoi l’esthétique de Verlaine suggère ici, non un quelconque état d’âme (romantique),
mais bien plutôt l’âme du paysage tel qu’il se
donne à ressentir au poète. Dernier exemple emprunté à Verlaine, toujours dans Sagesse, et dont
se souvient peut-être Régnier:
Et l'air a l'air d'être un soupir d'automne,
Tant il fait doux par ce soir monotone
Où se
dorlote un paysage lent.
Au-delà de la « méprise » syntaxique de l’emploi réfléchi du verbe « dorloter », c’est
une double
hypallage qui domine dans le dernier vers: c’est d’abord le remplacement de l’adverbe
« lentement » (attendu pour caractériser le verbe)
par l’adjectif « lent » qui qualifie étrangement le « paysage »; mais de façon plus
complexe encore, il s’agit d’une hypallage
in absentia, puisque la présence d’un « je » appelée par le verbe est exclue non seulement du
vers, mais aussi du
poème dans son ensemble. Tout est donc transféré dans le paysage, mais, pour revenir
à la définition initiale de l’hypallage, sans qu’il
y ait d’échange de caractérisants. Venons-en à Régnier: « un doux soleil prématuré
qui […] dorlottait [sic] des lassitudes. »
L’hypallage ici combine l’emploi d’un complément abstrait là où l’on attendrait un
être animé (des promeneurs las*) – sans que la suite
du texte permette de résorber véritablement cette attente – à une métaphore inattendue
(« dorlottait » pour « caressait » ?). Par son
pouvoir de déplacement, de condensation et de suggestion ouverte, éventuellement combinée
à d’autres figures, l’hypallage produit ainsi
une création langagière étrange et inouïe qui la situe au cœur de la poétique symboliste.
Plus encore, au-delà de la poésie comme genre,
l’hypallage gagne la prose conçue comme lieu poétique à part entière, que ce soit
dans les Cahiers ou dans des contes
symbolistes (comme La Canne de jaspe).
Paul de Kock (1793-1871), romancier populaire fécond dont la notoriété dépasse alors les frontières de la France, mais que sa facilité condamne à la raillerie des élites et à l’oubli. Voir Notice de la BnF.
PLRégnier rencontre Jules Laforgue (1860-1887) à deux reprises chez Mallarmé en 1886, puis une dernière fois chez Vielé-Griffin en février 1887 (voir Cahiers, janvier 1889, p. 159 et janvier 1913, p. 665, et Nos rencontres, p. 95-96). Moins engagé que Fénéon, Dujardin ou Vielé-Griffin qui voue en partie ses Entretiens politiques et littéraires à la défense du poète, mort tuberculeux à 27 ans, et à la publication de ses inédits, Régnier admire les vers du « bon Pierrot très blême » aux « bien poignantes tristesses », qu’il lit comme une « manière de vivre » (lettre à Vielé-Griffin, 7 novembre 1890, leur Correspondance, p. 494). La poésie de Laforgue, en rupture avec la tradition, lui paraît toutefois « incomplète » et « microscopique » (Cahiers, janvier 1891, p. 238). Son originalité lui vient de la disparate de son langage et de ses paradoxes qui combinent l’humour au pessimisme et la bizarrerie au sérieux. Régnier apprécie tout autant ses Moralités légendaires, découvertes à leur publication dans La Vogue (juin-novembre 1886), et il les définit à la suite de Mallarmé comme les « Contes de Voltaire du Symbolisme » (Nos rencontres, p. 87).
PLLa Lobbe, ou plutôt Lalobbe, est un petit village des Ardennes situé dans la forêt de Signy, à l’est de la Thiérache. La famille paternelle de Régnier y possède deux maisons depuis son retour de l’immigration : le « château d’en haut », achetée par son bisaïeul François de Régnier, en fait une maison de pierre et de brique, et le « château d’en bas », propriété de sa grand-tante Charlotte Louise Françoise de Régnier, épouse du baron des Lyons, habitée par leur petit-fils Césaire. C’est là que Régnier séjourne plusieurs semaines de chaque été pendant ses années de jeunesse jusqu’en 1891 et une dernière fois en 1894..
PLCharles Lapause, dit Henry Lapauze (1867-1925), administre des revues de jeunes, La Feuille rose (1886-1887) et La Revue rose (1887-1888), avant de s’orienter vers la critique d’art et de devenir conservateur du Petit Palais. Ses travaux sur Quentin de La Tour et Ingres sont réputés. Voir Notice de la BnF.
PLHenri de Lapommeraye (1839-1891), dramaturge et critique dramatique.
PLAnne Rose Suzanne Louviot, dite Méry Laurent (1849-1900), d’abord comédienne au Théâtre des Variétés et au Châtelet, devenue l’une des demi-mondaines les plus notoires de l’époque. Elle est entretenue par le médecin américain Thomas W. Evans, dentiste de la famille impériale, qui l’installe 52 rue de Rome (1872), où elle tient un salon fréquenté par l’avant-garde artistique et littéraire, puis lui offre une maison, « Les Talus », située en bordure du Bois de Boulogne, 9 boulevard Lannes, où elle reçoit l’été venu. L’histoire lui attribue de nombreux amants, parmi lesquels Édouard Manet, qui la peint dans quatre portraits. Manet introduit auprès d’elle son ami Mallarmé, qui lui voue une grande et durable passion. Régnier la rencontre par l’entremise de Mallarmé, d’abord lors d’un dîner donné par Dujardin dans les locaux de La Revue indépendante, puis dans son salon de la rue de Rome et dans la villa des « Talus », toujours en compagnie du poète. Il lui consacre un portrait des Faces et Profils (1932), recueilli dans De mon temps (1933, p. 70-79). Il l’évoque plus brièvement dans son article Sur Mallarmé (1923), repris dans Proses datées (1925, p. 27-29) et surtout dans De mon temps (1933, p. 70-79), ainsi que dans ses Cahiers (juin 1901), où il présente une rétrospective de leurs relations.
PLAlphonse LEMERRE (1838-1912). Emblématique libraire-éditeur sis passage Choiseul depuis 1866 à qui l’on doit les premières éditions des œuvres du Parnasse et la création de collections qui ont contribué au prestige de la maison Lemerre: « Classiques français », « Petite bibliothèque littéraire » et « Bibliothèque contemporaine ». Alphonse Lemerre fut l’éditeur unique des poètes pendant plus de trente ans, il publie notamment François Coppée, Léon Dierx, Anatole France, José-Maria de Heredia, Leconte de l’Isle, Stéphane Mallarmé, Catulle Mendès, Sully-Prudhomme, Paul Verlaine et Villiers de L’Isle-Adam. Les publications Lemerre sont ornées sur la couverture d’un médaillon représentant un géant nu bêchant le sol au soleil levant sous un phylactère portant l’inscription « Fac et Spera » et entre un encadrement symbolisant les anses d’une lyre et sous lequel figurent les initiales « A L ». Sa carrière débute en tant qu’employé du libraire Percepied, spécialisée en livres pieux. Lemerre a tôt fait de racheter le fonds de son patron et de le transformer incontinent en comptoir de poètes. Il réédite Ronsard, Baïf, Rémy Belleau, en restaurant l’orthographe de l’époque non sans risque, et non sans succès. L’avant-garde poétique parnassienne se retrouve passage Choiseul et des affinités d’art et de culture se créent donnant lieu à la création de la revue Le Parnasse contemporain. Laurent Tailhade dresse de lui un portrait au plus juste tel qu’il apparut de 1865 à 1910: « Trapu, massif, carré, les jambes courtes et solides, la poitrine vaste, avec des épaules et des bras de pugiliste, le chef solidement implanté, la face large dans un encadrement de barbe blonde, la bouche épaisse, le rire spirituel, des yeux gris au regard perspicace et doux, un masque suggérant l’image à la fois sculpturale et paysanne d’un proconsul romain et d’un toucheur de bœufs » [référence bibliographique à compléter] Notice de la BnF
VGLes Cahiers font souvent référence au musée du Louvre. Les occurrences s’échelonnent entre mars 1887 et novembre 1921. Régnier relate ses visites effectuées le jour même ou les jours précédents. Si certains passages content des anecdotes liées à la vie du musée (mars et août 1887, mai 1899, novembre 1891, août 1912, 6 novembre 1921), les plus nombreux constituent de véritables critiques d’art. Nous retrouvons les œuvres choisies de peintres tels que Pisanello, Léonard, Carpaccio, Mantegna, Giorgione, Rembrandt, Poussin, Watteau, Quentin de La Tour, Ingres. Régnier a cependant une prédilection pour les Antiques. Il goûte peu l’art égyptien (juin 1906 et octobre 1921) et reste un familier des statues grecques qui ne cessent de hanter son univers poétique (avec des notes régulières de 1887 à 1921). Revenant de la promenade du 12 septembre 1901, Régnier envisage d’écrire un livre sur le Louvre. Il nous reste à ce sujet des notes détaillées conservées dans les archives de la bibliothèque de l’Institut de France (Ms. 6307). Régnier a-t-il consulté ses Cahiers pour rédiger ces notes? Nous y trouvons par exemple la Victoire de Samothrace, « véritable gardienne du Louvre », qui déjà fait l’objet d’un développement dans les Cahiers en mai 1894. Quoi qu’il en soit, ce livre sur le Louvre n’a pas été écrit. À l’instar du parc du château de Versailles, le musée du Louvre est pour Régnier un puissant lieu de songe. Ce lieu illustre figure de plein droit dans la poétique du passé vivant. Les murailles, les escaliers, les cryptes conservent le passé au cœur de leur pierre et le restituent peu à peu au visiteur attentif. « Silencieux, sans date, hors du temps » (novembre 1888), le palais donne une idée de l’éternité. Au sein de ce palais onirique, il est un endroit privilégié, la galerie d’Apollon, qui est toujours l’occasion de descriptions symbolistes dignes des Contes à soi-même. Les objets qui la peuplent paraissent dans une constante métamorphose des formes et des matières. Ils deviennent le point de départ du rêve et le regard du poète accélère les transformations. Ces passages des Cahiers sont d’authentiques poèmes en prose. Pour une vue d’ensemble sur le sujet et pour la publication du manuscrit 6307 de la bibliothèque de l’Institut, voir Franck Javourez, « Imaginer le visage absent de la déesse ». Une visite au palais des choses d'Henri de Régnier, 2019.
FJManuel Luque (1854-1924), dessinateur et caricaturiste espagnol établi au Quartier Latin. Spécialisé dans les portraits-charges, il collabore au Charivari et au Journal amusant, puis chez Léon Vanier à la série Les Hommes d’aujourd’hui dont il illustre la première page à partir de 1885 et à la troisième édition des Poètes maudits, de Verlaine (1888).
PLRégnier fréquente les mardis du 89 rue de Rome depuis le printemps 1886, invité par Mallarmé à qui il adresse Les Lendemains à la parution du recueil (novembre 1885). Il leur reste fidèle jusqu’à la fin, même une fois devenu le familier des samedis, moins austères, de Heredia. Le salon de Mallarmé est un des hauts lieux de la sociabilité symboliste où Régnier rencontre l’avant-garde littéraire et artistique de la génération précédente (Villiers, Verlaine, Renoir, Gauguin, Whistler) et de la sienne (Gide, Louÿs, Wilde, Valéry, Laforgue). Il le décrit plusieurs fois, notamment dans l’article de « Faces et Profils » en hommage à Laforgue: « Cette modeste salle à manger d’un modeste appartement de la rue de Rome, avec sa lampe à suspension, son dressoir chargé de faïences rustiques, sa table ronde sur laquelle reposait le bol de porcelaine de Chine pour le tabac, ses murs intimes, son étroite banquette de rotin, ses sièges de paille et son rocking-chair au balancement intermittent, cette étroite pièce, qu’emplissait le fumée des cigarettes et où nous écoutions en ses inflexions infiniment nuancées et ses ingénieuses et précises subtilités la parole enchanteresse de notre maître bien-aimé, ce lieu, sans autre luxe que celui, immatériel, d’une atmosphère de poésie, fut pour notre jeunesse un lieu magique, un lieu de rencontres merveilleuses. » (Nos rencontres, p. 89-90) Régnier évoque avec émotion sa voix mélodieuse, la qualité de son attention et surtout sa conversation, surprenante « par l’imprévu des idées, l’ingéniosité des aperçus, la subtilité des rapprochements, par les arabesques délicates de sa pensée » (L’Homme d’esprit [1902], Sujets et Paysages, p. 271), son « instinct divinatoire du sens des choses » (Cahiers, décembre 1900) et son goût du paradoxe. Les Cahiers en conservent dans un émiettement frustrant quelques traces qui donnent une idée de la variété et de l’étrangeté des propos, ainsi son interprétation du chapeau de haute forme, mais, prend-il le soin de préciser, « qu’est- ce que je transcris auprès de ce qu’il disait? » (Cahiers, janvier 1893) Il est l’un de ses rares disciples à l’accompagner aux concerts du dimanche, mais aussi chez Whistler, Berthe Morisot et même Méry Laurent, à le suivre dans ses promenades et à recevoir l’invitation de Valvins. Il est aussi le seul sans doute, avec Valéry, à être le confident de ses souvenirs et de ses projets et à échanger avec lui des relations vraiment personnelles. Régnier lui consacre une quinzaine d’articles, les uns évoquant des souvenirs parfois anecdotiques, les autres défendant la mémoire du poète et la dignité de son œuvre, souvent l’objet de sarcasmes stupides. La moitié à peine en a été recueillie dans ses volumes de critique (voir Figures et Caractères, p. 113-143, Portraits et Souvenirs, p. 85-101, Proses datées, p. 21-40 et Nos rencontres, p. 181-214). De son côté, Mallarmé a cité Régnier, dans sa réponse à l’enquête sur l’Évolution littéraire, comme étant l’un des rares jeunes à « avoir fait œuvre de maîtrise, c’est-à-dire œuvre originale, ne se rattachant à rien d’antérieur »: « Henri de Régnier qui, comme de Vigny, vit là-bas, un peu loin, dans la retraite et le silence, et devant qui je m’incline avec admiration » (L’Écho de Paris, 14 mars 1891). Voir Notice de la BnF.
PLProbablement Régnier avait vu pour la première fois des toiles de Manet au Salon de 1881, où le peintre avait exposé les portraits de M. Pertuiset et de M. Henri Rochefort, qui lui avaient valu une médaille de deuxième classe [cf. note du 2 juin 1935, NAF 14980, f. 59 R]. Dans les années 1880 Régnier n’apprécie guère sa peinture, à laquelle il reproche une certaine vulgarité. Toutefois, au fil des années son avis change: en 1918 il tisse l’éloge de ses toiles dans le poème « À une dame qui connut Manet » [Revue des deux mondes, 1er décembre 1918, p. 612-613, repris par la suite dans Vestigia flammae, 1921] et dans les années 1920 il classe l’Olympia parmi les huit tableaux qu’il mettrait dans une tribune française au Louvre [Une Tribune française au Louvre, L’Opinion, 13 mars 1920]. De même, il recense les monographies de Blanche et de Flament sur le peintre. [La vie littéraire: Manet, par J.-E. Blanche, Le Figaro, 16 déc. 1924; La vie littéraire: La vie de Manet, par Albert Flament, Le Figaro, 18 sept. 1928]. Notice de la BnF
SROscar Méténier (1859-1913), secrétaire d’un commissaire de police, il observe les bas-fonds de manière presque clinique et les décrit dans ses romans et nouvelles d’esthétique naturaliste, volontiers argotiques, qui obtiennent un vif succès. En 1897, il fonde le Théâtre du Grand Guignol pour lequel il écrit de nombreuses pièces. Voir Notice de la BnF et projet Gutemberg.
PLBien que Régnier n’ait pas connu personnellement Claude Monet (Paris 1840- Giverny 1926), il en a toujours apprécié les tableaux qu’il sauve du mépris dans lequel il dit tenir la peinture (note de mars 1888). En effet, s’il ne ressent que du dédain pour le réalisme d’un Manet, il est séduit par la peinture de Monet, qui ose exprimer la « sensation restituée en son intégrité » et le caractère mouvant des formes par des toiles « d’une éblouissante naïveté » (12 juin 1888). Ses mots résonnent comme un écho de l’une des dernières déclarations du peintre qui écrit à Evans Charteris en juin 1926: « […] je n’ai que le mérite d’avoir peint directement devant la nature en cherchant à rendre mes impressions devant les effets les plus fugitifs » (Daniel Wildenstein, Claude Monet, biographie et catalogue raisonné, p. 421). Cette remarque de Monet est une confirmation de l’engagement esthétique qui le pousse à analyser le rôle de la lumière dans la perception de la nature ainsi transformée en univers féérique. Régnier demeure ébahi face aux nuances rendues par le peintre au point d’avoir « l’impression d’être un demi-aveugle, aux yeux grossiers et incompétents, au regard sommaire, ignorant les multicolores délices des objets, leur vie épidermique, scintillante et désertifiée » (décembre 1893). Cette puissance visuelle sera aussi remarquée par Georges Clémenceau, qui confesse au peintre : « C’est humiliant pour moi. Nous ne voyons pas du tout les choses de la même façon. […] Mon œil s’arrête à la surface réfléchissante et ne va pas plus loin. Avec vous, c’est une autre affaire. L’acier de votre rayon visuel brise l’écorce des apparences, et vous pénétrez la substance profonde […] » (Claude Monet. Les Nymphéas, p. 18-19) Cette capacité visuelle, qui aurait poussé Cézanne à s’exclamer: « Ce n’est qu’un œil, […] mais bon Dieu, quel œil! » (A. Vollard, En écoutant Cézanne, Degas, Renoir, p. 55), sera définie par Régnier comme semblable à la « concentration oculaire de Cyclope » (rétrospective à la Galerie Georges Petit, 24 juin 1889) et l’amènera à s’extasier devant les Nymphéas exposées chez Durand-Ruel (« Cet homme voit. Toute autre peinture a l'air d'une imitation des choses peintes de souvenir. Lui seul nous met en présence de ce qui est », décembre 1900). Peut-être est-ce pour cette raison que, dans le poème qu’il lui consacre (« Claude Monet », L’Art moderne et quelques aspects de l’art d’autrefois 1919; repris dans Vestigia Flammae, 1921), il préfère se limiter à nommer les lieux peints par Monet, bien que le jeu savant de répétitions et de variations laisse entrevoir la correspondance liant ses préoccupations esthétiques à celles du peintre: « Chaque fleur qui se double en l'eau qui la reflète/ Vous offre ses couleurs pour enchanter vos yeux/ Et chaque feuille plate est comme une palette/ Qui, docile à vos doigts, vous invite à ses jeux ». De même, il essaiera quelques années plus tard d’expliquer la fascination que ces toiles exerçaient sur Mallarmé qui, à les regarder, ressentait « un délassement analogue à celui qu'il goûtait […] à voir couler la Seine entre ses rives », sans compter que le « beau Claude Monet […] suspendu aux murs de la petite salle à manger […] ajoutait à l'humble pièce un coin de ciel favorable à la rêverie du poète. » (Nos rencontres, p. 205- 206). En 1934 Régnier se livre à une rêverie analogue à celle du maître de la rue de Rome lorsque, au cours de l’exposition « Les Artistes français en Italie, de Poussin à Renoir », il se retrouve devant l’étude « brillamment et savoureusement improvisée » de Venise (Devant une Venise de Monet, Le Figaro, 12 mai 1934, p. 1): les souvenirs semblent alors jaillir de cette « transfiguration de matière et de couleurs » qu’est, pour Régnier, la peinture impressionniste (oct. 1889).
SRVielé-Griffin, qui alterne les séjours à Paris et à la campagne, s’installe avec sa famille à Montlouis-sur-Loire, près de Tours, dans un petit appartement de la villa Beauregard. Il y revient cinq années de suite (1886-1890) avant de louer le château de Nazelles, près d’Amboise (1891). Régnier, qui craint toujours de s’ennuyer à la campagne, l’y rejoint pour de fructueuses conversations à quatre reprises : 6 semaines de l’été 1886 (fin juillet à début septembre), 6 semaines de l’été 1887 (mi-août à fin septembre), 1 mois en 1888 (7 août à début septembre), et deux semaines en 1889 (première quinzaine de février).
PLGustave Moreau (1826-1898) acquiert le « renom de peintre fermé aux profanes », en exposant peu au Salon. L’essentiel de ses œuvres est visible à la fin du XIXe siècle chez des collectionneurs (Pierre Pinchon, Le “sauvage” et les “mondains” (1856-1906) : les amateurs “fin de siècle” de Gustave Moreau). En 1889, « [i]l est très peu connu de la génération actuelle »: « Sur vingt jeunes gens, combien n’ont vu que son tableau du Luxembourg, cette Jeune fille portant la tête d’Orphée, dont l’allure exotique, le triste et doux visage inquiètent autant qu’ils surprennent. Peut-être a-t-on quelques vagues souvenirs de l’Exposition universelle de 1878, où il figura si brillamment, du Salon de 1880 où apparurent Galatée et l’Hélène. Qui eut l’occasion d’admirer la suite complète d’aquarelles pour les Fables de La Fontaine, appartenant à M. Antony Roux, de Marseille, quand elles furent exposées chez Goupil il y a trois ans? un petit groupe de raffinés tout au plus. » (Paul Leprieur, Gustave Moreau, L’Artiste, mars 1889, p. 162.) Régnier rejoint en 1887 le cercle des amateurs, dont Jean Lorrain a pris la tête, notamment en publiant en 1882, Le Sang des dieux (16-REGNIER-2239), avec en frontispice un dessin d’après Gustave Moreau, artiste auquel il dédie l’épilogue, inspiré du tableau du Luxembourg. Il voit chez Olivier Taigny Galatée (1880), toile à laquelle il consacre un sonnet transmis par Pierre Delarue au peintre le 25 février 1887 (Archives Musée Gustave Moreau, correspondance Delarue, citée par Peter Cooke, Gustave Moreau et les arts jumeaux, peinture et littérature au dix-neuvième siècle, 2003, p. 153). Il lui enverra également ses premiers recueils, Sites, Épisodes et les Poèmes anciens et romanesques (Pierre-Louis Mathieu, Gustave Moreau, 1994, p. 242). En mai 1887, il se rend par deux fois chez le collectionneur, Charles Hayem, songeant aux pages d’À rebours, alors qu’il s’apprête à publier un article sur J.-K. Huysmans et son roman En rade, où il mentionne la « fréquentation artistique » par le romancier de « Gustave Moreau » (p. 93). Malgré les notes prises devant L’Apparition et les aquarelles de Hayem, il fait de la Jeune Thrace tenant la tête d'Orphée (1865) sa toile de prédilection: il en possède une reproduction dans sa chambre, mentionnée dès 1888 (Cahiers inédits, 18 juillet 1888, p. 132; 22 février 1893, p. 322). L’œuvre lui inspire le « Manuscrit trouvé dans une armoire » des Contes à soi-même (1893) (Philippe Thiébaut, Henri de Régnier et l’art de son temps d’après un document inédit), puis, comme Lorrain, une ekphrasis, Sur un tableau célèbre, dédiée à Moreau décédé en 1898 (Premiers Poèmes [1899]). Régnier est fasciné par les « êtres » du peintre « venus des confins de notre mémoire et de notre songe, à travers des paysages de vie antérieure » (Cahiers inédits, février 1894, p. 372) et reconnaît dans son art une certaine affinité avec sa propre poésie (ibid., mars 1889, p. 168). De nombreux critiques le notent: « Ses vers d’une inspiration toujours pure et d’une noblesse qui ne se dément jamais, sont d’un moderne, sensiblement hanté de Gustave Moreau […]; il y a en eux de la rêverie nostalgique et de l’envolée au-delà des temps du peintre des Hérodiades […]. » déclare Lorrain en 1890 à propos des Poèmes anciens et romanesques (Chronique de Paris, 2 avril 1890, p. 1), discours repris par Edmond Jaloux: « le luxe le plus fastueux, une prodigieuse abondance de pierreries orne la Muse du poète. Elle se ressent évidemment d’avoir admiré les œuvres de Gustave Moreau, dont plusieurs tableaux l’ont d’ailleurs inspirée directement. » (Henri de Régnier 15 février 1912). Si Marius-Aryus Leblond note que les « innovations verbales » du poète « sont d’un Gustave Moreau des lettres » (Henri de Régnier et la critique "décorative", mars 1902, p. 584), d’autres parlent de ses « somptueux décors » comme de « la paraphrase en vers des aquarelles de M. Gustave Moreau » (Gaston et Jules Couturat, Le Fiasco symboliste, La Revue indépendante, juillet 1891, p. 14), tandis que Paul Adam ajoute: « Ce sont les mêmes héros ornés de splendeurs sombres […]; les mêmes femmes au visage de sourire qui distille le sang d’une blessure cachée entre l’émail de la royale parure. » (Le Génie latin, Entretiens politiques et littéraires, 10 décembre 1893, p. 486). Après l’ouverture du musée Gustave Moreau en 1903 au 14 rue de La Rochefoucauld, au sujet duquel Régnier s’exclame en 1932 « Quelle architecture! Qui lui avait bâti cette horreur? » (Cahiers inédits, p. 856), le lien avec l’artiste tend à se relâcher. En 1906, il réagit néanmoins à la critique que Forain formule sur les techniques du dessin et de la peinture mal maîtrisées par Moreau (Cahiers inédits, p. 552-553). Dans un ultime jeu de miroir avec lui-même, il relève dans son cahier de 1929 le goût littéraire de l’artiste pour la comédie du XVIIIe siècle: « Gustave Moreau, nourri de Bible et de mythologie, aimait, entre tous les auteurs, Marivaux. » (ibid., p. 826). Notice du Musée G. Moreau
JD #SRPaul Mounet (1847-1922), frère cadet du tragédien Mounet-Sully. Après des études de médecine, il débute à l’Odéon (1880), puis entre à la Comédie Française (1889), dont il devient le 324e sociétaire (1891-1922). Régnier l’applaudit dans le rôle d’Oreste à la reprise des Érinyes, de Leconte de Lisle, à l’Odéon, le 16 mars 1889.
PLMême si elle est l’une de ses admirations de jeunesse, tardivement reconnue, du reste avec une approximation de date (voir ses Cahiers, 28 décembre 1902, 1902/104/13 [491]), l’œuvre poétique d’Alfred de Musset (1810-1857) résiste mal au discrédit que lui imposent les conceptions esthétiques des Parnassiens et des Symbolistes sur lesquelles Régnier construit très largement la sienne. Régnier en dresse un premier bilan à l’occasion de l’inauguration de la statue en marbre du poète et de sa muse, œuvre d’Antonin Mercié érigée à l’angle du Théâtre-Français le 23 février 1906 et plus tard déplacée au parc Monceau. Dans son article du Gaulois, Le Saule et le Laurier (14 février 1906), recueilli ensuite dans Sujets et Paysages (1906), p. 206-214, il explique son succès durable par le goût d’un public qui attend surtout de la poésie une « émotion sentimentale ». Pour les lettrés plus exigeants, Musset est loin d’être un « versificateur impeccable », il peut même être « détestable » et ses incorrections de langue masquent la beauté de nombreux vers, ce qu’une entrée tardive des Cahiers juge « injuste », mais « compréhensible » (voir Cahiers, juillet 1932, 1932/7/6-10 [853]). Régnier, en revanche, aime ses contes en prose et surtout son théâtre, qui contribue sans doute largement au regain d’intérêt pour le Romantisme manifesté par le grand nombre de travaux qui lui sont consacrés dans les années 1900. Dans son feuilleton du Figaro, il continue d’explorer cette réception de l’œuvre d’où émerge toujours son théâtre. Mais il déplore la place prise après la guerre par les biographies romanesques qui plaisent à un large public et accordent une attention démesurée aux amours de Musset et de George Sand dont la célébration du centenaire serait « la fête de la Déraison » (16 octobre 1928). De même, dans ses souvenirs vénitiens, il voit leur liaison comme « une gageure contre le bon sens et un paradoxe contre la raison » (L’Altana, [1928] 2009, p. 124). Pour Régnier, dont les poèmes de Tel qu’en songe (1892) sont comme les Nuits une mise en scène de soi, le péché capital de Musset semble bien se situer dans cette « impudeur blâmable » (Sujets et Paysages, p. 208) que lui reprochaient les Parnassiens.
PLIl y a chez Régnier une fascination d’époque, parnassienne surtout puis symboliste, pour les figures de la mythologie telles que faunes et satyres (dont Pan au premier chef), centaures et cyclopes, nymphes et sirènes, sans oublier le Sphinx, – fascination qu’on retrouve encore quelques années plus tard chez un poète comme Albert Samain. Mais celle-ci n’en est pas moins personnelle, et Régnier affirme avec vigueur dans Poètes d’aujourd’hui et poètes de demain – conférence donnée en 1900 puis recueillie l’année suivante dans Figures et caractères – le génie propre des poètes symbolistes, qui lui semble rompre avec la conception du mythe qui prévalut jusqu’à Hugo et Leconte de Lisle: « Les Poètes récents ont considéré autrement les Mythes et les Légendes. Ils en cherchèrent la signification permanente et le sens idéal; où les uns virent des contes et des fables, les autres virent des symboles. » (p. 336) Aussi cette mythologie revivifiée irrigue-telle largement la poésie de Régnier, d’Aréthuse (1895) à La Sandale ailée (1906), et jusqu’au conte fantastique publié sous le titre « Le Centaure » (1897), avant d’être recueilli la même année dans La Canne de jaspe sous le titre « La mort de M. de Nouâtre et de Mme de Ferlinde », un des contes les plus justement célèbres de l’auteur. Pour bien comprendre et apprécier Régnier, il faut donc défaire la mythologie antique de son arsenal de pacotille et prendre au sérieux un imaginaire profondément marqué par les figures du paganisme, interprétées comme les images du désir et des tourments de l’être humain. Aux yeux de Régnier, l’homme a besoin des dieux, dont la présence donne force, sens et beauté à tout ce qui vit. La faculté poétique consiste ainsi à vivre comme si les dieux existaient… afin de les faire exister et de s’émerveiller de la diversité des formes créées partout présente. Les Médailles d’argile s’ouvrent à cet égard sur un vers étonnant et capital pour la poésie de Régnier: « J’ai feint que des Dieux m’aient parlé » (p. 13). De même, le poème conclusif de La Cité des eaux (1902) enjoint à l’homme de vivre poétiquement, l’injonction se métamorphosant bientôt en promesse: « Et tu pourras, à ton oreille, entendre encore – La Sirène chanter et hennir le Centaure » (p. 184). On trouve un poème intitulé « Le Centaure » dans Les Médailles d’argile (1900), ouvrant la section « Médailles héroïques » (ouvr. cité, p. 78). Mais les anciens exploits guerriers et amoureux de la créature mythologique ont été défaits par l’esclavage de l’Amour. Dans La Cité des eaux (1902), « Le Centaure blessé » est le plus bel hommage à la force et à la beauté tout à la fois sauvages et humaines de celui qui est « homme et cheval » : il fait songer aux épisodes fameux des combats contre les Lapithes et contre Hercule. Mais après avoir invoqué les Dieux, l’archer-poète victorieux maudit son adresse, et invoquant à présent le Centaure – « Cher monstre ! je te pleure » –, il entend « le cri humain jailli de [son] hennissement ! » (Ouvr. cité, p. 178.) Tout à la fois humain et dépassant l’humain par sa force et sa démesure, incarnation de la double nature de l’homme découverte par le Romantisme, figure à la fois païenne et chrétienne, le Centaure a tout pour fasciner Régnier, notamment par l’imaginaire érotique puissant auquel il se prête. [3400]
BVLouis Charles Philippe Raphaël d'Orléans, duc de Nemours (Paris, 25 octobre 1814 –
Versailles, 26 juin 1896), fils de Louis-Philippe
Ier et de Marie-Amélie de Bourbon. Lieutenant-général et pair de France. Époux de Victoire
Auguste Françoise
Antoinette Julienne Louise de Saxe-Cobourg-Kohary (Vienne, 14 février 1822 – Claremont-House,
11 novembre 1857). Il se distingua dans
les combats à Constantine durant la conquête de l’Algérie, et subit une période d’exil
en Angleterre après la révolution de 1848. [JLM]
Louis d’Orléans, duc de Nemours (1814-1896). Second fils de Louis-Philippe, lieutenant-général
de l’armée royale sous la
Restauration, membre de la Chambre des Pairs, puis commandant du camp de Compiègne
sous la Monarchie de Juillet, il est élu roi des
Belges en 1831, mais refuse ce trône en raison de l’hostilité britannique (c’est finalement
Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha, futur gendre
de Louis-Philippe, qui sera choisi). Général de brigade, il se distingue pendant la
conquête de l’Algérie, notamment lors de la prise de
Constantine (1837), puis comme adjoint du général Bugeaud (1840-1842). Après la mort
accidentelle de son frère aîné, Ferdinand-Philippe,
duc d’Orléans (1842), il est désigné comme régent éventuel du royaume pendant la minorité
de son neveu, Philippe d’Orléans, comte de
Paris (né en 1838). Lors de la révolution de 1848, il organise la fuite du roi, qu’il
rejoint ensuite en exil en Angleterre. Rentré en
France après la chute de l’Empire, il est nommé général de division et dirige la Société
de secours aux blessés militaires de terre et
de mer. S’il n’est pas visé par la loi du 22 juin 1886 interdisant aux chefs des familles
ayant régné en France et à leurs seuls
héritiers directs de résider en France (« loi d’Exil »), il est néanmoins radié des
cadres de l’armée (1886). Résidant à Paris, 9,
avenue Kleber, il meurt à l’Hôtel des Réservoirs à Versailles dix ans plus tard. Un
important séisme avait ravagé la côte de Ligurie le
23 février 1887, faisant un millier de morts en Italie. Il avait eu des répercussions
dans les Alpes-Maritimes, où l’on avait déploré
huit morts, principalement à Nice et à la Bollène-Vésubie. À Menton, où séjournait
le duc de Nemours, il n’y avait pas eu de morts, mais
de nombreux blessés et d’importants dégâts matériels; beaucoup de maisons de la vieille
ville avaient été endommagées et la belle avenue
de la Gare donnait l’impression d’avoir subi un bombardement. [FB]
La relation de Régnier à Nerval est beaucoup plus riche et compréhensive que ne le
montre la première occurrence des
Cahiers (37v/ 17 ; NB 81). Régnier lui consacrera par la suite plusieurs textes dans la presse,
ainsi qu’une préface
pour la réédition d’un récit de jeunesse, La Main enchantée. Préface qui prend la forme
d’un récit de rêve, où sont synthétisés la vie et l’œuvre de Nerval avec leur triple
aspect de fantaisie, de rêve et de folie. Elle sera
recueillie dans Proses datées en 1925. Voir Bertrand Vibert, D’un conteur l’autre : Henri de Régnier lecteur de Gérard de Nerval. À propos d’une
préface (1920) pour La Main enchantée,
histoire macaronique (1832) , 2021.
Au-delà de la sincérité qu’un diariste se doit à soi-même, nous ne pouvons qu’être
étonnés de la désinvolture dans le jugement, fondé pourtant sur une relecture – à
remarquer au passage que, à 23 ans, Régnier relit –,
comme aussi de cette mécompréhension de la valeur des œuvres parmi les plus importantes
de Nerval. Allons plus loin, car la rencontre
manquée est paradoxale : il y aurait un devenir conte, ou devenir poésie, sous le
signe commun du fabuleux, de la prose narrative de
Nerval, et ce par-delà les assignations de genre. Et comme l’écrit Jean-Nicolas Illouz
de façon décisive, « la prose nervalienne vient
relayer une poésie perdue, mais de telle sorte qu’elle en prolonge indéfiniment le
deuil. » (Nerval :
entre vers et prose, p. 75). Ne percevons-nous pas là des affinités avec la façon de sentir de Régnier
? Toutefois, en
adoptant sur le conte en prose le point de vue de la fin de siècle symboliste, il apparaît
que celui-ci a été promu à hauteur de poésie
depuis Baudelaire – « Mon cœur, sois toujours poète, même en prose », et que le même
Baudelaire lui a fourni avec Poe un de ses
modèles. Or nous sommes là bien loin de l’œuvre de Nerval, dont la prose garde encore
quelque chose d’une trempe et d’une transparence
classique. C’est pourquoi, si l’on excepte Proust (Gérard de Nerval, Contre
Sainte-Beuve), il semble que les symbolistes, à commencer par Régnier, aient peu ou mal lu Nerval
prosateur, ce qui se
comprend assez bien. Le réel leur est délibérément étranger, et par là ne peut faire
l’objet d’une transfiguration « supernaturaliste ».
Si l’on y rencontre un « je » conteur, comme dans Monsieur d’Amercœur, ce « je » s’insère
dans un dispositif narratif où il n’est qu’un narrateur second et manifestement fictif,
à l’encontre de l’ancrage réel et biographique –
même si cet ancrage est problématique –, des récits de Nerval. Par contraste, les contes
symbolistes sont purement idéalistes, sans cet
alliage de réel et d’imaginaire à l’aura profondément mythique qui est la marque de
Nerval. Cela explique sans doute aussi pourquoi il
faut attendre Breton et les surréalistes pour relire Nerval, et partir délibérément
en quête de « l’ombre » en délaissant « la
proie ». S’il est peut-être difficile de rendre compte de tous les aspects du jugement
de Régnier, on comprend mieux ce qu’il dit
de Sylvie et d’Aurélia dans la première
occurrence des Cahiers (Cahiers (37v/ 17 ; NB 81), tant du point de vue de l’imaginaire que du style. Par
la suite, Régnier manifestera davantage d’intérêt, de compréhension et de sympathie
à l’égard de Nerval, sans parler de son admiration
sans réserve pour le poète des Chimères. Il fera même amende honorable en écrivant une belle préface pour La Main enchantée (1832), dans une édition illustrée de gravures originales par
Daragnès (Paris, L. Pichon, 1920). Il y raconte comment il rencontre souvent Nerval
en rêve, et il s’adresse alors à lui de façon
amicale et fraternelle. Cette fois, la compréhension est définitivement rétablie :
« Il sent que je le comprends et que je l’admire tout
entier, que j’aime en lui l’écrivain délicieux et pur, d’une si sobre et si classique
fantaisie, le conteur spirituel, pittoresque et
profond, le voyageur si ingénieusement curieux, le poète mélancolique et mystérieux,
le rêveur parfois insensé mais toujours infiniment
précis, le mystique et l’illuminé qui mêle le rêve et la vie et les confond en une
harmonieuse arabesque. Alors, il me parle et c’est à
mon tour de l’écouter. » On ne saurait rendre plus bel hommage, qui ressuscite dans
ses œuvres la figure d’un Gérard conteur, mais plus
encore lui reconnaît in praesentia le pouvoir enchanteur de la parole conteuse.
Édouard Norès (1857-1904), hydropathe et contributeur de Lutèce, puis auteur de vaudevilles et du comique troupier Les Gaités de l’escadron en collaboration avec Courteline (1895). Voir Notice de la BnF.
PLLe théâtre de l’Opéra-Comique est situé salle Favard dans le second arrondissement de Paris. Une première salle, ouverte en 1783, est détruite par un incendie en 1838. La seconde salle, ouverte en 1840, est détruite à son tour par un incendie causé par un éclairage au gaz défectueux le 25 mai 1887. L’accident qui cause 84 victimes et met au chômage toute la troupe provoque une émotion considérable dans l’opinion dont la presse se fait l’écho avec un pathos que Régnier déplore. Une troisième salle sera ouverte en 1898.
PLSous sa dénomination actuelle, le Théâtre du Palais-Royal est inauguré en 1831. Situé sur les jardins du Palais-Royal, rue de Montpensier, il donne des comédies et des vaudevilles.
PLD’une famille bourgeoise et cultivée, Péladan (28 mars 1858-27 juin 1918, dit aussi Le Sâr Mérodack) fut un élève indiscipliné, un autodidacte et un polémiste brillant. Personnage haut en extravagance, il tient une place importante dans la littérature, les arts et l’occultisme, de par son œuvre inégale et parfois grandiloquente. Le portrait peint par Alexandre Séon (vers 1892), une saisissante épure, rend toute la puissance intellectuelle de Péladan. Fondateur de l’Ordre de la Rose-Croix catholique et esthétique du Temple et du Graal (1891), il s’inscrit résolument dans la vie artistique et organise avec succès les Salons de la Rose-Croix (1891-1897) dont les catalogues sont de précieux documents. Il expose Khnoppff, Schwabe, Bourdelle, Séon, Rouault, Bernard, Delville, Grasset, Vallotton, Filiger, Sarluis. Wagnérien convaincu et militant, Péladan vilipende Zola, suppôt d’un matérialisme et d’un naturalisme dénoncés dans Le Vice suprême (1884) au profit de la prééminence de l’idéal et du spirituel exposée dans L'Art idéaliste et mystique (1894) et dans Le Théâtre complet de Wagner. Les XI opéras scène par scène avec notes biographiques et critiques (1894). Henri de Régnier entend le nom de Péladan en août 1887 chez Vanier où viendra « une femme en robe de toile bleue, figure fanée et intelligente, qui est la maîtresse de Péladan. » (CI, 95) C’est chez Judith Gautier qu’il voit Péladan le 5 mars 1893: « Dimanche, on chantait, chez Judith Gautier, la scène finale du Crépuscule des Dieux. La grande et tragique lamentation emplissait le petit salon bas, au divan circulaire […] Il y avait ce soir-là [...] Péladan et quelques Rose-Croix [...] » (CI, 325) La sympathie, réelle mais distanciée de Régnier pour l’œuvre de Wagner, les « Souvenirs wagnériens » dans Proses datées en précisent les contours: « culte de Wagner [...] parmi la jeunesse lettrée et artiste » au sein de « petites chapelles où s’exerçait avec ferveur la dévotion des adeptes peu nombreux encore du wagnérisme. » (p. 41) Les mots sont proches de l’attitude de Péladan. En mars 1894, Régnier le rencontre à nouveau chez Judith Gautier: « Péladan se plaint d’une époque si hostile à l’écrivain que non seulement il n’y a aucune place mais qu’encore il n’en peut rien tirer. Il me semble, au contraire, que ce désaccord est favorable. Les circonstances sont d’elles-mêmes ce qu’il faut qu’elles soient: elles contribuent à l’isolement nécessaire du poète en soi-même. / Péladan, le premier abord vaincu (il m’était antipathique), est un homme vraiment affable. Sa causerie est intelligente et curieuse, celle d’un être supérieur et gracieusement courtois. » (CI, 380) Le portrait, empathique, cerne et définit la personnalité de Péladan, à l’égal de Séon. À la fin du XIXe siècle, la place de l’écrivain dans la société était partagée entre l’isolement « en soi-même » (la plupart des Symbolistes) et l’ingérence, à la suite de Victor Hugo. Péladan permet à Régnier de souligner cet « isolement nécessaire ». En février 1894 Régnier en avait parlé en Belgique dans des conférences publiées sous le titre Le Bosquet de Psyché. Dans l’intimité des Cahiers, Régnier livre ex-abrupto son art d’écrire et ses réactions face au monde dans sa totalité. En osmose avec les Cahiers et les premiers recueils, Le Bosquet de Psyché les extériorise et construit le socle de l’œuvre de Régnier. Octobre 1893. Henri de Régnier passe à Nîmes. Sur le Mont Duplan, il voit parmi les pins « une vieille tour ronde, coiffée d’un bonnet de tuiles, au milieu de quelques mètres carrés d’enclos. C’est là qu’habite Péladan. La tourelle est en ce moment inhabitée. C’est un doux refuge, demi-aérien, demi-sylvestre, d’où l’on voit les paysages liés, pierreux et hiérosolomitains de la garrigue. » (CI, 359) Si Péladan a écrit des pages redoutables sur Nîmes, la ville n’est pas rancunière: un Portrait du grand maître de la Rose-Croix en habit de chœur (1894), dû à Jean Delville, est conservé au musée des Beaux-Arts. Sous la date « Lundi 25 novembre [1912] », Régnier consigne « un dîner chez les Artus [...] Après dîner, dans la fumée des cigares, Péladan a causé. Il a parlé de l’amour, naturellement. Mélange d’éloquence, de jargon passionnel et philosophique, d’aperçus ingénieux et profonds, d’énormités. Il est vraiment le Sâr: avec ses yeux désorbités, sa barbe grise, son visage ravagé. Je le regarde. Que lui a-t-il manqué pour être un grand écrivain? Il a eu de beaux dons; il a une culture très étendue. Il a été célèbre, puis le silence s’est fait autour de lui. » (CI, 655-656) Régnier connaît le parcours en littérature de Péladan et la situation actuelle du Sâr qui mourra six ans plus tard, pauvre et dans l’oubli quasi-total. Dans la dernière note: « Hier, Noël. Chez Mme Adam [...] Il y avait Péladan et le ministre belge Vandervelde [...] » (CI, 718, 26 décembre 1916), seuls se détachent les noms de deux invités, preuve que Régnier a gardé toute son attention à Péladan.
JLMMaurice Flandre, dit Maurice du Plessys (1864-1924), poète néo-classique, collabore à la seconde période du Décadent (1887-1889), où il contribue au cahier critique avec des études littéraires et des chroniques sociales, et à La Plume, où il publie notamment un important article à valeur de manifeste, « Étrennes symbolistes » (1er janvier 1891), qui marque son engagement derrière l’idéal de romanité de Moréas. Pour lui, la poésie doit retrouver la tradition française oubliée depuis la Renaissance, renouer avec le modèle gréco-latin et obéir aux lois prosodiques du vers régulier. Le poète, écrit-il, « fera reparaître au jour l’antique chaîne gallique ensevelie sous la pompe prestigieuse et stérile des XVIIe et XVIIIe siècles, embourbée sous les pas barbares de la catastrophe romantique ». Le Pèlerin passionné de Moréas, que toute la jeunesse intellectuelle célèbre dans un banquet qui a valeur de ralliement (2 février 1891), scelle en fait une scission entre les « Romans » (Jean Moréas, Ernest Raynaud, Maurice du Plessys, Raymond de La Tailhède et Charles Maurras) et les « Barbares » symbolistes qui brisent le vers et empruntent leurs modèles à la culture germano-scandinave. Régnier juge plutôt « inoffensif » ce « principe gréco-latin » tel que Moréas le présente dans son second manifeste du Figaro (14 septembre 1891) et son regard sur l’œuvre poétique du « chevalier » Maurice du Plessys reste mesuré, même s’il lui arrive d’ironiser sur le personnage. Il consacre même une recension dans sa chronique poétique du Mercure de France (1er février 1897, p. 385-387) au recueil Études lyriques, suivi d’une édition nouvelle du Premier Livre pastoral (1896), qui rassemble toute sa production de la décennie.
PLGrâce à l’intercession de Baudelaire et de Mallarmé, pour Régnier comme pour toute
la génération symboliste, Poe (1809-1849) est une
référence majeure par la puissance de ses visions et son idéalisme. On ne s’étonnera
pas qu’il soit cité dans Le Bosquet de Psyché (1894), qui fut la première grande conférence de Régnier, tout à la fois cruciale
et
stratégique dans l’histoire du Symbolisme. Régnier y évoque la quête du fameux Bosquet
jusqu’au moment où « nous nous trouverons en face
de celle qu’Edgar Poë [sic] a, dans un sublime et miséricordieux poème, nommée à tous
nos songes : “Psyché, mon Âme” et c’est elle qui
nous conduira à sa demeure. » Demeure que, bien sûr, chacun « doit porter en soi-même ».
[BV]
L’œuvre de Poe a commencé à être
connue en France grâce aux traductions de Baudelaire, publiées à Paris par Michel
Lévy et intitulées Histoires extraordinaires (1856), Nouvelles Histoires extraordinaires (1857) et Histoires grotesques et sérieuses (1864). En 1872 La Revue
littéraire et artistique d’Émile Blémont publie les premières traductions de Mallarmé et, en 1875, voit le
jour l’édition de
luxe du Corbeau illustrée par Manet, suivie, en 1876, par une nouvelle série de traductions dans
La République des lettres de Mendès. L’influence de Poe sur l’œuvre de Régnier a été le
sujet de nombreuses études. Émile Lauvière (Edgar Poe sa vie et son œuvre. Étude de psychologie
pathologique, p. 648) parle de Régnier en ces termes: « Disciple de Mallarmé qui l’initia aux
plus subtiles charmes de Poe,
Henri de Régnier laisse, lui aussi tour à tour flotter ou peser sur ses contes de
La Canne de
jaspe un fantastique mystère, qui tantôt nous étreint, pathétique et terrifiant, dans les
Contes de M. D’Amercoeur […] et tantôt nous obsède, symbolique et fuyant, dans les mornes songeries hallucinées
des Contes à soi-même, apparemment écrits en quelque autre maison Usher perdue au fond des
landes bretonnes. » Cette remarque est reprise par Louis Seylaz (Edgar Poe, 1923, p. 144): «
L’influence du conteur américain est manifeste dans une bonne part de l’œuvre de M.
H. de Régnier, à qui Stéphane Mallarmé a transmis en
même temps que les préceptes et la doctrine esthétique de Poe le secret d’un charme
plus alangui: témoins Le Passé vivant, La Double Maîtresse, les contes de La Canne de jaspe et du Plateau de laque ». C. P.
Cambiaire remarque que ces influences sont absorbées et transformées en quelque chose
de nouveau [The
Influence of Edgar Poe in France, 1970, p. 212-218; The Influence of Edgar Allen Poe in
France, Romanic Review, octobre-décembre 1926]. Il donne l’exemple des similarités entre Le Passé vivant et Morella, Eleonora ou Ligeia (thème de la manifestation et de l’influence des morts sur les
vivants) et il parle de la dette de L’Alérion (Tel qu’en songe)
envers The Raven, Ulalume et To Annie. D’ailleurs, Cambiaire
reprend l’inventaire des analogies entre Le Trèfle noir et La Canne de jaspe et The Domain of Arheim et Landsor’s Cottage, dressé par Gunnar Bjurman [Edgar Allan Poe. En litteraturhistorisk
studie, 1916, p. 348-349]. Ce dernier avait également souligné l’influence d’Ulalume
sur les poèmes Cyprès (La Cité des eaux), Les
Visiteuses (Les Jeux rustiques et divins). Il faut également noter l’allusion au MS. Found in a Bottle de Poe dans le titre Manuscrit trouvé dans une armoire
(La Canne de jaspe) et Manuscrit trouvé dans une gondole
(Les Bonheurs perdus). [SR]
On ignore si Régnier avait vu les œuvres de Millais et de Watts présentées lors des expositions internationales qui avaient eu lieu en 1882 et 1883 à la galerie de Georges Petit ou si, à l’époque, il ne connaissait que des reproductions. En effet, au cours des années 1870 et 1880, la réception des préraphaélites en France passe surtout par la publication dans la Gazette des Beaux-Arts de traductions, d’articles enrichis d’illustrations et de comptes rendus, écrits par Philippe Burty, Théodore Duret ou Édouard Rod. Si La Peinture anglaise d’Ernest Chesneau (1882) contribue à attirer l’attention sur eux, c’est seulement à l’occasion de l’exposition universelle que les œuvres des Préraphaélites jouiront d’une plus grande visibilité. Régnier, qui visitera le pavillon anglais en mai 1889, en décrira minutieusement les tableaux dans ses notes intimes. Aussi, à partir de cette date, les critiques multiplient-ils les références aux Préraphaélites lorsqu’ils parlent de son œuvre: ainsi Verhaeren dit que les figures hiératiques des Poèmes anciens et romanesques lui « font songer à certaines créations préraphaélites » (L’Art moderne, 20 avril 1890, p. 124), tandis que Pierre Louÿs, dans une lettre à Valéry, le décrit comme « le plus exquis des préraphaélites français » (lettre n° 113, 16 juillet 1890, dans André Gide, Pierre Louÿs, Paul Valéry, Correspondance à trois voix (888-1920), p. 244). De même, Marius Ary-Leblond, qui place l’œuvre de Régnier sous « l’influence de la critique d’art et des préraphaélites », remarque qu’« il se dresse en lui un peu de l’anglais comme en Vigny et Villiers » (Henri de Régnier et la critique décorative, mars 1902, p. 591), ce qu’affirmera également Robert de Souza, qui retrouve dans Épisodes la « transmission de Tennyson et des préraphaélites » (Le poète Henri de Régnier à l’Académie, La Grande Revue, 1912, p. 559).
SRSULLY PRUDHOMME (1839-1907) Notice de la BnF René François
Armand Prudhomme, dit Sully Prudhomme (1839-1907), académicien (1881) et premier Prix
Nobel de Littérature (1901). Le poète parnassien,
auteur vénéré des Solitudes (1869) et des Vaines Tendresses
(1875), mais aussi philosophe et moraliste, est l’une des admirations de la jeunesse
de Régnier, même à l’époque où il fréquente les
Hydropathes. Régnier accomplit très tôt auprès de lui la visite rituelle du débutant
présentant ses vers, qu’il raconte dans un article
de la série « Faces et Profils » (1929) repris ensuite dans Nos rencontres (Mercure de
France, 1931, p. 7-19). Dès Les Lendemains, Régnier adresse ses recueils successifs à Sully
Prudhomme qui le reçoit plusieurs fois chez lui. L’envoi de Sites (juin 1887) entraîne une
première mise en garde: « je vous verrais avec peine substituer entièrement l’expression
musicale à l’expression conventionnelle du
langage, comme tend trop à le faire l’école qui vous possède » (lettre inédite, 17
juin 1887). L’hostilité de Sully Prudhomme aux
nouvelles expérimentations prosodiques et son respect des formes régulières ne lui
ôtent toutefois pas son estime pour les qualités
littéraires de Régnier. Mais il refuse de participer au banquet Moréas (2 février
1891), de crainte d’avoir « l’air d’un fossile en
rupture de ban » (lettre inédite, 26 janvier 1891). La publication de ses Réflexions sur l’art des
vers (1892) donne l’occasion aux Symbolistes de préciser clairement la nature de leurs
divergences. Dans les Entretiens politiques et littéraires (n° 26, mai 1892, p. 215-220), Vielé-Griffin, qui a un
sens aigu de la polémique, lui répond en refusant toute recette du Beau, en revendiquant
la liberté du poète contre la rigidité
prosodique et en affirmant la primauté du rythme et de la strophe sur la virtuosité
du vers. Régnier, qui vient de publier Tel qu’en songe, accepte de défendre cette position dans une visite au poète parnassien qui
l’invite « pour causer prosodie ». Par la suite, Régnier le cite plusieurs fois dans
ses articles de critique, parmi d’autres
parnassiens comme Banville et Coppée, pour évoquer leur dette envers Hugo (voir Poètes d’aujourd’hui
et Poésie de demain [1900], Figures et Caractères [1901], p. 310 et Lui et Nous [1902], Sujets et Paysages [1906], p.
200-201).
Sully Prudhomme Régnier rend pour la première fois visite au poète parnassien Sully
Prudhomme, à l’esthétique pourtant
si contraire à la sienne, dès 1885. Il en rapporte le souvenir dans Nos rencontres, p.
7-19. Voir Patrick Besnier, Henri de Régnier, de Mallarmé à l’Art déco, Fayard, 2015, p.
46-48.
Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898). Issu d’une famille de vignerons et d’échevins bourguignons, né à Lyon, il achève ses études secondaires au lycée Henri-IV, à Paris, avant de préparer le concours de Polytechnique. Contraint d’arrêter ses études pour des raisons de santé (1844), il effectue deux séjours en Italie (1847-1848), où il découvre les grands représentants de la peinture vénitienne (Titien, Tintoret, Véronèse) et ainsi que les fresques de Piero della Francesca et des peintres de Pompéi. Rentré en France, il fréquente les ateliers d’Ary Scheffer, Delacroix et Couture, s’installe dans un petit atelier situé 11, place Pigalle, et expose une première œuvre (une Pietà) au Salon de 1850. Influencé par les grandes compositions exécutées par Chassériau pour la Cour des comptes, il expose ensuite ses toiles dans diverses galeries, car il est régulièrement refusé par le Salon. Après avoir décoré la maison de campagne de son frère en Saône-et-Loire sur le thème des saisons (Retour de chasse), il expose enfin au Salon de 1861 deux grandes allégories: La Guerre (qui est achetée par l’État) et La Paix, qui assoient définitivement sa réputation. Il s’impose rapidement comme le spécialiste de grands décors, le maître d’un « art solennel et paisible, noble même, symbolique, écrit pour la muraille » (Henri Focillon), notamment au Palais Longchamp de Marseille, aux Hôtels de ville de Poitiers et Paris, à la Bibliothèque de Boston, et surtout au Panthéon (L’Enfance de Sainte Geneviève), au Musée des Beaux-arts de Lyon (Le Bois sacré cher aux arts et aux muses et Vision antique, Inspiration chrétienne) et dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne (Le Bois sacré). Il travaille à ces œuvres imposantes à la fois dans son atelier de la place Pigalle et aussi dans un autre atelier, plus spacieux, à Neuilly. En 1855, il a fait la connaissance de la princesse roumaine Marie Cantacuzène, modèle et compagne de Chassériau (disparu l’année suivante), qui devient sa compagne (ils se marieront quelques mois avant leur mort, en 1898) et qu’il retrouve chaque soir dans son appartement du 89, avenue de Villiers, avant d’aller dîner en ville: « Brillant causeur, fougueux et affable à la fois, Chavannes a de nombreuses relations artistiques et mondaines. » (Sophie Monneret) En 1870, il est incorporé dans la Garde nationale, en compagnie de Manet, Tissot et Carolus-Duran, avant de se réfugier chez sa sœur à Versailles pendant la Commune. Familier de Berthe Morisot, de Manet, d’Alfred Stevens, de Degas, il est élu au jury du Salon de 1872, mais en démissionne lorsque le jury refuse La Femme nue de Courbet, en raison de la participation de ce dernier à la Commune. Nommé successivement chevalier (1867), officier (1877), puis commandeur de la Légion d’honneur (1889), il fonde avec Meissonier, Carolus-Duran et Rodin la Société nationale des Beaux-arts, qui tient un Salon annuel au Champ-de-Mars dans un pavillon de l’Exposition universelle de 1889; il en assure la présidence à partir de 1891. En 1895, Rodin (qui a réalisé en 1891 un buste du « grand décorateur de murailles ») et la revue La Plume organisent en son honneur à l’Hôtel Continental un banquet, présidé par Mallarmé, auquel assistent de nombreux artistes et aussi des écrivains et des hommes politiques. Il meurt en 1898, trois mois après sa femme.
FBRégnier écrira un poème sur Racine, La journée de Racine, paru d’abord dans la Revue des Deux Mondes (vol. 51, n° 4, 15 juin 1909, p. 883-883) et ensuite repris dans le Miroir des heures (1910). Il parle encore du dramaturge dans Tercets (Flamma tenax, 1922-1928): « Je pense à vous; je pense à moi. Je lis Racine/ Parce qu’un vers de lui, parfois, serre le cœur/ D’une angoisse et d’un mal dont la joie est voisine… » et il reprend un vers de Phèdre dans la Consolation à Ariane(Flamma tenax): « Ariane, ma sœur, vous qui, d’amour blessée/ en languissez encore et n’en guérissez pas… ». Cf. André Fontainas, Tableau de la poésie française d'aujourd'hui, 1931, p. 52. Par ailleurs, en 1932 Racine fait partie de ses auteurs préférés (P. Besnier, Henri de Régnier. De Mallarmé à l’art déco, 2015, p. 425).
SRRaffaëlli (20 avril 1850-11 février 1924), d’origine florentine et lyonnaise, affirme sa vocation de peintre alors qu’il admire les grandes œuvres conservées au Louvre. Brièvement élève de Gérôme à l’École des Beaux-Arts de Paris, il développe son art en autodidacte. Il s’installe à Asnières (1879) et ses « portraits types de gens du peuple » de la banlieue, ainsi qu’il le disait lui-même, feront sa renommée. Il participe aux manifestations culturelles de renom: Salon (1870-1879), expositions impressionnistes (1880 et 1881), Salon des XX à Bruxelles (1885), Salon des Artistes français (1885-1889), Salon de la Société nationale des Beaux-Arts (1891-1910). Il expose à Boston, Chicago, New York et Philadelphie (1895 et 1899) et participe à la Sécession de Berlin (1900). Peintre, graveur et sculpteur, son œuvre, témoignant d’un naturalisme adouci par un impressionnisme chaleureux, figure surtout dans des musées (Petit Palais à Paris, Lyon, Dijon, Morlaix, Birmingham). Ses gravures donnent l’idée de la vie par le jeu velouté des contrastes entre les blancs et les noirs. De quatorze ans plus âgé qu’Henri de Régnier, il ne fut pas de ses intimes mais il le croisait dans les méandres de la vie parisienne. Les Cahiers inédits - 1887-1936 donnent peu de références au peintre et ne mentionnent ni les livres qu’il a illustrés (de Huysmans, Goncourt et Mirbeau), ni ceux qu’il a publiés, dont Les Promenades d'un artiste au Musée du Louvre (1908, Bibliothèque des Annales politiques et littéraires). Et pas d’allusion aux trois livres ornés par Raffaëlli du portrait des auteurs, peint sur la couverture, et emblématiques de la bibliothèque des Goncourt: À rebours (1890), L’Obex, de François de Nion (1894) et L’Assommoir (1892). Régnier avait lui aussi les honneurs de cette bibliothèque, avec Le Trèfle noir orné du portrait par Jacques-Émile Blanche (1895). Trois catégories de notes caractérisent les références à Raffaëlli: physiques, informatives et picturales. Après un dîner de La Revue Moderne, Régnier note: « À table, je me trouve près de Raffaëlli, un beau profil avec un aimable sourire, de l’ironie un peu voulue qui a son charme, et une moustache hérissée et blonde. » (CI, 112, 7 janvier 1888). On croirait voir un médaillon de Claudius Popelin. Un dimanche de mai 1893, chez Edmond de Goncourt, arrive Raffaëlli « avec sa mine à la Henri IV » (CI, 336) – ressemblance (nez, barbe) entre le roi peint par François Quesnel et des photographies du peintre? – En novembre 1893, Régnier remarque « la figure béarnaise de Raffaëlli. » La comparaison reste obscure. Les notations informatives relèvent du témoignage distancié de type agenda: « J’ai vu Grieg chez Raffaëlli » (CI, 386, mai 1894) puis, chez Goncourt: « Arrivent Raffaëlli, Rodenbach. » (CI, 417, janvier 1895) Leur sécheresse traduit une absence d’empathie pour le peintre et pour son œuvre. Les notations picturales sont révélatrices du rejet de la peinture par Régnier: « Quand je songe au réel effet que me produit la peinture, je suis forcé de constater l’incapacité qu’a cet art de me charmer. Et je m’avoue le plus profond mépris que j’ai pour lui. » (CI, 120, mars 1888) Toutefois, Régnier nuance son propos et distingue les peintres qui le « charment complètement » de ceux qui bénéficient de ses « sympathies éparses », et enfin des « modernes », avec des réserves: Whistler, « un peu » Bernard, « certains » Raffaëlli, et Monet, « peut-être » Degas (CI, 120). Par la suite de la note, d’une dureté exemplaire dans sa condamnation du « réalisme » bien éloigné de sa poésie, Régnier se définit lui-même. Le 14 avril 1907, Régnier rapporte sa présence au vernissage d’une exposition en partie consacrée à Raffaëlli (samedi 13 avril, Salon de la Société nationale des Beaux-Arts): « Au Vernissage. J’ai rencontré Raffaëlli. Il était dans la salle où sont exposées ses toiles. Il a vieilli et engraissé. Sa rencontre m’a rappelé un temps qui est déjà loin, où je le rencontrais à des dîners littéraires qui avaient lieu à la Villette dans l’arrière-boutique d’un marchand de vins. Il était assez maigre, assez beau parleur. » (CI, 586-587) À noter, la répétition restrictive de « assez », et le « beau parleur », qui rappelle « l’ironie un peu voulue. » La notation la plus dépréciative est datée 22 juin 1933. Régnier a visité l’exposition Goncourt organisée par la Gazette des Beaux-Arts pour le 75e anniversaire de sa fondation. Il a revu certaines des œuvres qu’il admirait dans le Grenier. Mais il note: « Affreux portraits d’Edmond de Goncourt, aussi bien le Nittis que le Raffaëlli et le Carrière. » (CI, 865) Il s’agit du portrait d’Edmond par Raffaëlli (1888), actuellement au Musée des Beaux-Arts de Nancy, portrait dont Goncourt appréciait les qualités et qui avait été présenté au Salon (mars 1888). La publication intégrale des Cahiers et celle de correspondances permettront peut-être de nuancer le regard de Régnier sur Raffaëlli.
JLMLouis RAVENEAU (1865-1937): Notice de la BnF
Il s’agit
probablement de Louis Raveneau, ancien élève de l’École normale supérieur, section
des lettres en 1885, professeur au Collège Stanislas
(1895-1898) et directeur des Annales de géographie à partir de 1892, auteur de plusieurs
ouvrages de géographie et notamment d’une étude sur la Cartographie à l’Exposition
universelle de 1900.
Odilon Redon (1840-1916). Né à Bordeaux d’un père établi en Louisiane et d’une créole de la Nouvelle-Orléans, de santé fragile, il passe son enfance dans une propriété familiale des Landes, où il est initié à la peinture par un élève d’Isabey. Paysagiste de talent, il expose à la Société des amis des arts à Paris en 1861. Revenu à Bordeaux, il suit des cours de sculpture et découvre Shakespeare, Poe, Baudelaire, Flaubert et le bouddhisme, sous l’influence du grand botaniste Armand Clavaud (qui voit en lui un futur écrivain plutôt qu’un peintre). De retour à Paris, il fréquente l’atelier de Gérome et se lie au graveur Rodolphe Bresdin, qui l’initie à l’eau-forte. Plusieurs fois refusé au Salon, il y expose enfin une eau-forte en 1867 et, l’année suivante, le tableau Roland à Roncevaux. Dès cette époque, il apparaît comme l’un des précurseurs de l’impressionnisme; il admire Courbet, Manet, Pissarro et Monet et théorise ses idées sur l’art dans le journal qu’il tiendra de 1867 à 1915 et qui sera publié après sa mort sous le titre À soi-même (1922). Il y note: « Un artiste est puissant quand il a des imitateurs. » Mobilisé dans l’armée de la Loire en 1870, alors qu’il travaille à la décoration d’une chapelle à Arras, il tombe malade et est envoyé en convalescence en Bretagne. Il se partage ensuite entre Paris (où il fréquente le salon de la veuve du poète Saint-Cyr de Rayssac) et les Landes, où il exécute de nombreux dessins au fusain: « L’intellectualisme du milieu parisien dans lequel il vit et auquel appartiennent à la fois des amateurs passionnés de musique et des artistes épris de spéculations philosophiques a sûrement influencé son goût d’un art secret, musical, qui prend ensuite forme en été devant les étendues marécageuses des Landes et les champs où se tordent les ceps de vigne. » (Sophie Monneret) Dans les années 1870, il séjourne souvent à Barbizon et en Hollande, se lie avec Fantin-Latour, Mallarmé, Berthe Morisot et Degas. Ses fusains et ses lithographies font scandale aux expositions organisées par La Vie Moderne en 1881 et du Gaulois l’année suivante. Il prépare alors sa première exposition de lithographies de La Tentation de saint Antoine. Marginal, s’il est admiré par Mallarmé, qui voit en lui « un délicieux ermite fou, le pauvre petit homme que, du fond de moi, j’aimerais être », et par Huysmans, qui lui rend hommage dans À rebours (1884), il est dénigré par Goncourt, qui qualifie son art de « fantastique enfantin ». En 1884, il prend part au premier Salon des Indépendants, mais il n’y exposera que trois fois; en revanche, il est invité par Paul Durand-Ruel à la première exposition des peintres graveurs en 1889 et c’est dans la galerie Durand-Ruel qu’a lieu en 1894 une rétrospective comprenant 124 de ses œuvres. À la suite de diverses contrariétés (la vente du domaine familial des Landes, la mort de Mallarmé, dont il devait illustrer Un Coup de dés jamais n’abolira pas le hasard) et d’un événement heureux (la naissance de son premier fils), il renonce au noir et s’adonne à la couleur. Sous l’influence de Maurice Denis, il se rapproche du groupe des nabis, expose à nouveau chez Durand-Ruel et chez Ambroise Vollard et il est, avec Cézanne, « l’un des artistes pour lequel les jeunes peintres ont la plus grande vénération » (S. Monneret) Il se voit commander des tapisseries, des panneaux décoratifs pour la Manufacture des Gobelins, le château de Domecy-sur-Cure (Yonne) et l’abbaye de Fontfroide, des paravents… Depuis la fondation de la Société des artistes indépendants dont il est le président, Redon est considéré comme le maître de la génération symboliste. « J'ai fait un art selon moi, confiait-il en 1894. Je l'ai fait avec les yeux ouverts sur les merveilles du monde visible, et, quoi qu'on ait pu dire, avec le souci constant d'obéir aux lois du naturel et de la vie. »
FBLes Cahiers abondent en récits de rêve, étranges, mystérieux, inquiétants, poétiques et parfois érotiques. Régnier note ses rêves avec soin, et ils sont une voie d’accès privilégiée à son imaginaire.
BVFélicien Rops (1833-1898). Peintre, graveur et caricaturiste belge, influencé par Manet et Boudin, ami de Baudelaire et Constantin Guys, auteur d’œuvres érotiques et sulfureuses. Fils d’un riche industriel de Namur, il débute à Bruxelles comme dessinateur satirique à l’Uylenspieg, qu’il a fondé avec l’héritage de son père (1856), avant d’exposer à Paris, à la galerie Cadart, une lithographie (Un Enterrement en pays wallon). En 1865, dans une lettre à Manet, Baudelaire (que Rops héberge à Namur) écrit: « Rops est le seul véritable artiste […] que j’aie trouvé en Belgique. » Vice-président de la Société libre des Beaux-arts de Belgique (1868), fondateur de la Société internationale des aquafortistes (1869), il s’installe à Paris en 1874 et en explore les bas-fonds en compagnie du journaliste Alfred Delvau, dont il illustre plusieurs ouvrages (Les Cythères parisiennes, histoire anecdotique des bals de Paris; Dictionnaire érotique moderne; Les Lions du jour). Il connaît un grand succès avec des lithographies de femmes de mœurs légères (Buveuse d’absinthe, Pornocratès). « Rops, un tsigane qui satanise », disait Alphonse Daudet – allusion à son recueil d’eaux-fortes publié en 1874 : Les Sataniques. Par Delvau, il fait la connaissance d’Auguste Poulet-Malassis (l’éditeur des Fleurs du mal), qui lui commande des illustrations d’ouvrages libertins. Il excelle à peindre les vices et les perversités de son époque, en particulièrement toutes les formes de la luxure bourgeoise: « J’ai vu de vous des eaux-fortes magistrales et d’une perversité si intense, que, moi qui prépare le Traité de la perversité, je me suis épris de votre extraordinaire talent », lui écrit le Sâr Péladan. « Lorsqu’il ne fignole pas avec une correction académique des polissonneries, Rops manie admirablement l’humour noir et atteint l’expressionnisme. » (Sophie Monneret) Toutefois, sans doute sous l’influence de Boudin, il donne aussi dans l’impressionnisme, comme l’attestent ses paysages nordiques (Pont sur la Lesse, Après-midi sur les dunes). Admis dans le cercle artistique d’avant-garde baptisé le « Groupe des XX » (1885) Après avoir vainement tenté de fonder des journaux, il se sépare de sa femme, qui lui reproche ses infidélités, et se met en ménage avec deux sœurs couturières, avec lesquelles il séjourne à New York (1887), après avoir voyagé en Suède, en Hongrie et à Monte Carlo. « Je tâche tout bêtement et tout simplement de rendre ce que je sens avec mes nerfs et ce que je vois avec mes yeux, c'est là toute ma théorie artistique. J'ai encore un autre entêtement, c'est celui de vouloir peindre des scènes et des types de ce XIXe siècle, que je trouve très curieux et très intéressant; les femmes y sont aussi belles qu'à n'importe quelle époque, et les hommes sont toujours les mêmes. De plus, l'amour des jouissances brutales, les préoccupations d'argent, les intérêts mesquins, ont collé sur la plupart des faces de nos contemporains un masque sinistre où l'instinct de la perversité, dont parle Edgar Poe, se lit en lettres majuscules; tout cela me semble assez amusant et assez caractérisé pour que les artistes de bonne volonté tâchent de rendre la physionomie de leur temps. » Depuis 1884, il vit et travaille dans une propriété qu’il a achetée à Corbeil-Essonnes, où il reçoit ses amis parisiens. Décoré de la Légion d’honneur (1889), il reçoit l’hommage d’une grande rétrospective à Drouot et d’un numéro spécial de La Plume (1896). Il meurt deux ans plus tard.
FBLes Rothschild sont à la fois des collectionneurs avisés et des mécènes généreux. À partir de 1873, ils font d’importants dons (peintures, dessins, sculptures, archéologie, manuscrits, costumes) à diverses institutions publiques (Louvre, Carnavalet, Bibliothèque nationale, Musée des Arts décoratifs, Musée de Cluny). De 1870 à 1895, Alphonse de Rothschild (1827-1905), fils aîné de James de Rothschild, chef de la branche française, constitue dans ses deux résidences principales (le château de Ferrières et l’Hôtel Saint-Florentin) une très importante collection d’œuvres d’art essentiellement consacrée aux peintures flamande, hollandaise, anglaise et française. À partir de 1885, année de son élection à l’Académie des Beaux-Arts, il oriente son mécénat en faveur des peintres français vivants. Ainsi, dans la seule année 1892, il achète quelque 120 oeuvres au Salon des artistes français et à la Société nationale des Beaux-Arts, destinées à 50 musées de province. En décembre 1892, Régnier aura une notation peu aimable sur la baronne Alphonse, rencontrée chez Mme de Bonnières (« une vieille simiesque »). D’une manière générale, il montrera peu d’indulgence pour les Rothschild, qu’il lui arrivera de croiser dans les salons: « Ces gens les plus riches de France ont l’air de médiocres personnages. » (24 février 1895)
FBFrancisque Sarcey (1827-1899), normalien que ses opinions libérales amènent à quitter l’enseignement pour la presse (1858), est l’inamovible titulaire du feuilleton dramatique du Temps de 1867 à 1899. Attaché aux conventions de la représentation scénique et à l’étalon que constitue à ses yeux le goût du public, il se montre incompréhensif devant les jeunes écoles et les tentatives originales, comme celles du Théâtre-Libre d’Antoine et de la troupe de l’Œuvre de Lugné-Poe, pour rénover l’art dramatique.
PLLe peintre néo-impressionniste Paul Signac (1863-1935).
PLIl s’agit là d’un sentiment obsédant des Cahiers, mais aussi d’un sujet de méditation récurrent dans l’ensemble de l’œuvre. La solitude, en fonction des occurrences, se caractérise par son ambivalence: elle est au cœur du marasme, voire du désespoir qui accable Régnier durant ses jeunes années, sous les noms de « spleen », « ennui », « tristesse » et « mélancolie », et elle ne le quittera jamais par la suite, fût-ce sous une forme atténuée. De là que Régnier reste sur sa réserve et se livre peu à autrui. L’autre solitude, dont la première est peut-être le prix à payer, est au contraire cultivée comme la condition d’accès à l’authenticité du moi et à une vie retranchée du monde, car vouée à l’œuvre, dans une perspective idéaliste qui marque aussi un dédain aristocratique envers la foule: « […] c’est en nous que cette retraite existe. La seule solitude est l’intérieure, et les autres n’en sont que l’allégorie, le relief terrestre d’un fait strictement psychique. » (Figures et Caractères, p. 291-292.) Cette solitude, Régnier la nomme aussi « la vraie solitude, en présence de soi-même » (NB 210), qui est accompagnée du seul « silence ». Ainsi, la solitude est au cœur d’une double expérience : une détresse caractérisée par un sentiment d’abandon et d’inanité de tout ; tout au contraire mais plus rarement, la jouissance d’un sentiment de plénitude – ou bien, à défaut, de mélancolie douce: « La solitude est douce à qui souffre d’amour. » (Vestigia flammæ, p. 30.) La solitude malheureuse peut donc se vivre au milieu des autres, tandis que l’isolement ne suffit pas à la solitude heureuse, qui s’éprouve dans l’intimité secrète et sacrée pour chacun de ses pensées et de ses désirs: « La chambre, la lecture, la promenade: triple tristesse et même solitude. » (NB 229) Cela dit, au fur et à mesure que Régnier avance sur le second versant de sa vie, il introduit des variations sur ce modèle, et semble moins rechercher que redouter la solitude. Dans un moment d’abattement, il décrit ainsi comme négatif et subi ce qui aurait pu, en d’autres circonstances, être considéré comme un idéal d’existence: « Je vis de plus en plus seul, de plus en plus isolé et, de plus en plus, je ne mêle que moi-même à ma vie. Qu’en résultera-t-il? » (NB 656) Surtout, Régnier s’interroge à diverses reprises sur ce que signifie la solitude en fonction de l’âge, mais les mérites sont-ils bien égaux? « À vingt ans, la solitude est pleine d’amour – vingt ans plus tard elle est pleine du passé. » (NB 651) Son point de vue se fait donc peu à peu désillusionné, comme si le jeune poète qu’il fut avait perdu la foi en la fécondité du recueillement dont est faite la solitude heureuse: « Dans la période ascendante de la vie, la solitude est supportable, mais ensuite, que gagne-t-on à être seul? » (NB 679) L’opposition devient dès lors moins nette entre les deux solitudes, celle-ci arborant désormais continûment un visage peu amène: au-delà d’une perspective d’abord morale, philosophique et par-dessus tout esthétique qui était celle de l’idéalisme et de sa jeunesse, le mot « solitude » sert désormais plus nettement à caractériser une situation existentielle et sociale. Il n’empêche que, même sur le tard, Régnier retrouve à l’occasion les accents du poète et les pouvoirs de l’allégorie pour qualifier celle qui fut, au gré des heures de la vie, l’Amie et l’Ennemie de toujours : « Lorsque l’on a connu la solitude, on tâche en vain de lui échapper. Elle revient à vous avec son grave visage de tristesse et d’orgueil et pose son doigt glacé sur le cœur le plus brûlant. » (NB 747) À la toute fin de sa vie en revanche, la possibilité d’une solitude heureuse semble avoir déserté Régnier. Voir : ATONIE, ENNUI, SPLEEN, TRISTESSE
BVLa tristesse est une constante de l’œuvre de Régnier, et en particulier des Cahiers, au point qu’il les qualifie de « répertoire à tristesse » (NB 342). Dans la durée, elle désigne à la fois un tempérament – « Au fond, je suis triste. » (NB 271) – et une humeur – variable : telle est sa première caractéristique. La deuxième est de se nourrir d’elle-même – « ce n’est que de soi qu’on est triste » (NB 227) –, par opposition à l’ennui, qui provient du monde extérieur. Elle peut néanmoins submerger, d’où certains aveux: « Ma grande tristesse, celle de 18 à 26 ans, je l’ai encore au fond de moi. Parfois je la sens qui monte, me prend à la gorge, me terrasse […] » (NB 416) Pourtant – troisième caractéristique –, elle dépasse la catégorisation morale pour accéder à une dimension historique. La tristesse « moderne » ne sera plus faite de la « brièveté des joies », mais de leur « nullité » (NB 191). Elle est alors envisagée du point de vue de la littérature comme un sentiment neuf, et non comme une résurgence du romantisme. Faculté inhérente au Poète, elle dépasse l’expression de l’individu: « La tristesse du poète n’est peut-être que la fatigue de porter tout en lui-même la tristesse du monde. » (NB 133) Quatrième caractéristique: la tristesse subsume un réseau de notions morales se rapportant à l’âme, dont Régnier s’efforce d’affiner les définitions. Corrélée à la mélancolie qui ne le quitte guère jusqu’au milieu des années 1890, elle emplit Poèmes anciens et romanesques (1890), mais surtout Tel qu’en songe (1892), et ce souvent sous forme allégorique: « Ô Tristesse, tes soirs sont venus sur cette âme » (« L’Alérion », II, p. 165). Encore présente jusque dans La Sandale ailée, l’allégorie se fait plus intime et perd sa grande capitale: « Prends garde. Si tu veux parler à ma tristesse […] » (« Le Secret », p. 31). Qu’est-ce donc qui en fait la spécificité ? Cinquième caractéristique, elle est lestée d’un passé inconnu et inaccessible: « Il y a quelque chose en moi que je ne peux pas ressaisir. » (NB 141) Tel est bien le sens des poèmes cités, qui réussissent pourtant à convertir la tristesse en objet de représentation. En revanche, le charme reste impuissant lorsqu’au réveil, la « morne tristesse » envahit le diariste au vague souvenir d’un rêve en soi non dysphorique mais dont l’énigme indéchiffrable cause de la tristesse. Or ce que le récit de rêve ne peut traduire remonte à la prime enfance: « J’ai en moi une chose très lourde, dont je ne puis me défaire […] un passé d’ombre, vague, et qu’il me suffirait [de] fouiller pour y trouver toutes sortes de douleurs. (NB 161). Comment donc sortir de « la forêt » inextricable de nos « tristesses » (NB 321), constitutive du moi et de ses peurs ? Il est précisément une sixième caractéristique, qui tient à l’ambivalence foncière de la tristesse. À l’aveu d’un désespoir poignant tel que « je suis triste à mourir » (Cahier V, p. 67 v/7) s’oppose par exemple « J’aime la tristesse et je hais l’ennui » (NB 253). Quand elle ne submerge pas, elle peut donc être apprivoisée. En ce sens, elle est l’homologue de la mélancolie: « Il y a une certaine mélancolie qui se satisfait d’elle-même, qui est une tournure de l’esprit, une couleur de l’âme, et une autre qui est imposée, qu’on subit sans y participer, qui accable et qu’on déteste. » (NB 220) On touche ici au cœur de la tristesse: pour le pire, une incurable maladie de l’âme; pour le meilleur, une faculté poétique. Sa septième caractéristique sera donc la jouissance mélancolique, chaque fois que Régnier s’émeut de ce qui va doucement vers sa fin. De manière plus paradoxale, il avoue « [aimer] les choses qui restent immobiles: les pierres [le règne minéral], l’eau. Elles sont tristes et comme en dehors de tout. » Or l’eau est par excellence l’élément de la tristesse régniérienne, partout présente sous des formes diverses. Et c’est l’aspect minéral de l’eau qui requiert Régnier, l’eau entretenant une relation de parfaite réversibilité imaginaire avec le verre et les miroirs. L’eau et les rochers, ces deux « choses » exclues du courant de la vie, se révèlent aptes à conjurer la mort inéluctable, tout en entretenant la relation ambivalente de Régnier à la vie et à la mort, que sa rêverie à la fois désire et repousse. À quoi s’ajoute encore le sentiment moderne de la beauté mélancolique dont a parlé Baudelaire. Ainsi, la tristesse devient une disposition esthétique qui infuse la vie, avant de se transformer en faculté poétique. Voir : ATONIE, ENNUI, SOLITUDE, SPLEEN
BVLéon Vanier (1847-1896), le « Bibliopole », dont la librairie se situe 19 quai Saint-Michel, est l’éditeur de Verlaine, des Décadents et des Symbolistes, comme Lemerre est celui des Parnassiens. Régnier se plaint souvent de sa « ladrerie » et de ses retards, mais il le juge « moins vil marchand de prose que ses confrères » et lui confie ses cinq premiers recueils avant de rejoindre Bailly à la Librairie de l’Art indépendant (1890), puis Vallette au Mercure de France (1893). Vanier publie aussi la série illustrée Les Hommes d’aujourd’hui à laquelle Régnier collabore trois fois avec des monographies de Francis Vielé-Griffin, Bernard Lazare et Stuart Merrill. Après sa mort, sa maison est reprise par sa veuve, qui cède le fonds à Albert Messein en 1903.
PLGeorges Van Ormelingen, dit Georges Vanor (1865-1906), poète des Paradis (1888), est aussi auteur dramatique, critique d’art et conférencier. Élève du lycée Fontanes, ce nid de symbolistes, il fonde un journal de lycéens, Le Fou (février-juin 1883). Mêlé aux combats de la jeune littérature, il collabore à La Revue rose (1887-1888) et à La Cravache (1888) avant d’être choisi par Vielé-Griffin comme « directeur-gérant » (secrétaire) des Entretiens politiques et littéraires (mars-juin 1890), poste où il est vite remplacé par Bernard Lazare, mieux adapté à la fonction. En 1889, il publie sa plaquette, L’Art symboliste, préfacée par Paul Adam, l’un des manifestes du mouvement dans lequel il expose sa propre théorie du symbole, d’inspiration spiritualiste: « L’Art est l’œuvre d’inscrire un dogme dans un symbole humain et de le développer par le moyen de perpétuelles variations » (p. 35). Régnier le rencontre ici et là à l’heure des grandes manœuvres symbolistes sans jamais développer, semble-t-il, de relations durablement amicales avec lui. Voir Notice de la BnF.
PLHéritier d’une ancienne salle détruite par un incendie en 1838, le nouveau Théâtre du Vaudeville, ouvert en 1868, se situe boulevard des Capucines. Il se spécialise dans le drame et la comédie de mœurs. Adapté par Zola de La Curée, Renée, dont la première a lieu le 16 avril 1887, déçoit la presse et le public qui s’attendaient à un art nouveau et découvrent seulement « un gros drame de plus et un beau rêve de moins ». Les critiques les plus influents, d’Adolphe Brisson à Jules Lemaitre et à Francisque Sarcey, jugent que Zola a, pour une fois, manqué de hardiesse et que la pièce a édulcoré les audaces du roman en jetant un voile pudique sur les désirs de l’héroïne. La « Phèdre moderne » est banalement soumise aux lois de l’hérédité et Octave Mirbeau, par ailleurs plutôt nuancé, conclut que « Zola n’est point fait pour faire du théâtre ». Zola fait face à cette réception difficile dans son premier-Paris du Figaro, « Renée et la critique » (22 avril).
PLPour Régnier, Verlaine (1844-1896) est, avec Mallarmé, l’initiateur d’« un art nouveau ». Son influence, « formelle et persuasive », touche la jeune génération, avant celle de Mallarmé, « rationnelle et foncière », donc plus lente à pénétrer les esprits. Sa poésie, « toute personnelle et individuelle », s’impose par les formes multiples de son lyrisme, « pessimiste ou saturnien, mystique ou populaire » et par la « modulation particulière » de son vers (Poètes d’aujourd’hui et Poésie de demain, 1900, p. 317-318), par sa musique et sa pratique de l’impair. Mêlée au souvenir des Fleurs du mal, elle inspire à l’évidence Les Lendemains (1885), OHR IV, 1924 et Apaisement (1886) OHR IV, 1924, sinon Sites (1887) aux sonnets bien peu verlainiens dont le « saturnien » apprécie la « forme irréprochable ». Régnier admire l’œuvre de Verlaine, au moins jusqu’à Amour (1888), parce qu’il a donné à son vers les rythmes « les plus souples et les plus suggestifs, les sonorités les plus musicales » et qu’il l’a rendu capable d’exprimer « les impressions les plus fugitives » (Le Figaro, 5 mai 1933). Mais, dès sa réponse à l’enquête de Jules Huret, il la juge surévaluée, surtout comparée à celle de Mallarmé : « Je crois qu’on doit beaucoup à Verlaine ; mais, pour ma part, je m’en sens un peu loin » (Réponse à l’enquête sur l’évolution littéraire L’Écho de Paris, 25 mars 1891). Ses rencontres successives avec le poète, qui ne le laisse jamais « pénétrer dans son amitié » (Vues, 1926, p. 60, et Nos rencontres, 1931, p. 46), lui donnent le spectacle pathétique d’une déchéance physique et sociale qui le « dégoûte ». Dès sa première visite à l’hôtel meublé où il a trouvé refuge, cour Saint-François, près de la Bastille (hiver 1886), il le découvre au comptoir du marchand de vin voisin. Ses lettres à Vielé-Griffin et, dans une mesure moindre, ses Cahiers livrent un inventaire de ses rencontres avec Verlaine, d’un meublé à l’autre, d’un hôpital à l’autre, évoquant aussi l’un de ses « mercredis littéraires » fréquentés par les « infâmes goujats de lettres, répugnants et criards » dont il s’entoure (lettre à Vielé-Griffin, 5 novembre 1888 ; voir leur Correspondance, p. 338). Cet inconfortable sentiment de distorsion entre l’homme « abject et dégradé » et le poète « délicieusement et pathétiquement inspiré » reste présent de manière plus radicale encore malgré le temps passé dans sa recension du livre de François Porché, Verlaine tel qu’il fut (Le Figaro, La Vie littéraire, 5 mai 1933), qui lui fournit l’occasion de rappeler une dernière fois leurs rencontres d’autrefois : « Certes j’ai fervemment admiré Verlaine, mais jamais mon admiration pour le poète n’effaçait l’impression pénible et l’aversion instinctive que me causait le mince regard de ces yeux obliques dans cette face camuse aux pommettes saillantes, dans cette face de “squelette gras”, ainsi que le définissait Leconte de Lisle ».
PLPierre Véron (1833-1900), journaliste, rédacteur en chef du Charivari et du Journal amusant (1865), collabore à de nombreux périodiques spécialisés dans l’évocation des mœurs parisiennes. Boulevardier et vaudevilliste, il accueille dans son salon rue des Pyramides, puis 182 rue de Rivoli artistes et écrivains, parmi lesquels Alphonse Daudet dont il encourage les débuts (voir Cahiers, NAF-14974/Cahiers IV, 18V/11-12).
PLJules Vidal (1857-1895), originaire de Nîmes, collaborateur de Lutèce et familier du grenier de Goncourt. Il est l’auteur de trois romans et de deux pièces représentées au Théâtre-Libre. Régnier le rencontre dans le salon de Robert Caze et entretient avec lui des relations de sympathie. Voir Notice sur BnF.
PLFrancis VIELE-GRIFFIN (1864-1937) Régnier connaît Francis Vielé-Griffin (1864-1937) depuis leur rencontre en classe de cinquième au collège Stanislas (1878). Dès lors règne entre eux une amitié fraternelle que cimente leur passion commune pour la poésie et que résume la formule « Arcades ambo »: ensemble nous sommes en Arcadie, le pays idéal rêvé par Virgile dans ses Bucoliques. Né de l’union d’un père américain, le général Egbert Ludovicus Vielé, et d’une mère française, Teresa Griffin, il s’installe en Europe après le divorce de ses parents, d’abord en Suisse, puis à Paris (1872). Leur vocation littéraire se nourrit d’essais précoces et de la lecture des poètes français, de Ronsard à Hugo et aux Parnassiens. Vielé-Griffin, de culture anglophone et passionné par la poésie gréco-latine, choisit d’écrire en français et se montre d’emblée passionné par la musique de la langue, les questions de métrique et la justesse des mots. Dès 1885, Régnier et lui collaborent aux revues de jeunes où se construit la littérature nouvelle, d’abord Lutèce (1885-1886), de Léo Trézenik, puis les Écrits pour l’art (1887), de René Ghil, enfin La Revue indépendante (1888-1889), d’Édouard Dujardin, où la révolution symboliste prend peu à peu forme. Ils fréquentent aussi les cénacles et bientôt les mardis de Mallarmé. En même temps, ils publient leurs premiers recueils: pour Vielé-Griffin Cueille d’avril (1886), Les Cygnes (1887), Ancaeus (1888), où il expérimente la technique du vers libéré, et surtout Joies (1889), dont la préface proclame avec force: « Le vers est libre » (Joies, p. 11). Vielé-Griffin théorisera plus tard cette prosodie sous le pseudonyme de François de Poncher dans deux articles de L’Occident, Le Vers libre et la Strophe analytique (1905). Mais auparavant, il s’agit encore de l’imposer par l’exemple aux critiques en place pour qui le vers polymorphe n’est que de la prose masquée, mais aussi aux jeunes, comme Moréas et Ghil, aux conceptions divergentes malgré leur volonté commune de renouveler la poésie. Aussi Vielé-Griffin entraîne-t-il Régnier, qui a toujours un petit temps de retard sur lui, à créer une revue de combat pour la défense du vers libre et les acquis du Symbolisme contre les Parnassiens, les Naturalistes et les dissidents de leur génération: ce sera les Entretiens politiques et littéraires (1890-1893) qu’il finance lui-même grâce à un héritage opportun. Son amitié avec Régnier prend donc forme et consistance dans cette démarche commune. Quelques différences se manifestent, pourtant, entre eux dans leurs caractères et leurs manières de vivre. Régnier est un homme des villes, qui a besoin du monde, même s’il n’en est pas la dupe. Vielé-Griffin, lui, aime la campagne et la vie de famille avec sa femme Marie-Louise et ses quatre filles. Quand il n’est pas à Paris, il séjourne de longs mois en Touraine, d’abord à Montlouis-sur-Loire (1886-1890), puis à Nazelles (1891-1899), où Régnier le rejoint souvent pour plusieurs semaines de bonne amitié et d’efficace création. Cette relation fusionnelle, étendue sur plus de vingt ans, se brise toutefois étrangement, sans raison connue au cours de l’année 1900, à l’âge médian de leur vie, quand commence leur maturité. Régnier consacre cinq recensions à l’œuvre de Vielé-Griffin, une dans les Écrits pour l’Art (1887) et le Mercure de France (1897), trois dans La Wallonie (1888, 1891 et 1892), et dessine de lui deux brefs portraits dans les fascicules Les Hommes d’aujourd’hui (Vanier, 1888) et Portraits du prochain siècle (1894). Voir Henri de Régnier, Francis Vielé-Griffin, Correspondance (1883-1900) et Notice de la BnF
PLVilliers de l’Isle-Adam (1838-1889), écrivain peu reconnu de son temps, fut une haute figure révérée de toute la jeunesse symboliste pour son idéalisme absolu en art (dans L’Ève future ou Axël), mais aussi pour son ironie inquiéteuse (dans les contes dont il donnait lecture) et partout pour la magie de son verbe. Sa marque fut ainsi considérable sur le mouvement symboliste et sur Régnier lui-même. Ami de jeunesse de Mallarmé, il fut un hôte de marque des mardis, où Régnier put le rencontrer avant de témoigner avec constance de son admiration dans les Cahiers. Villiers est par ailleurs largement évoqué par Régnier dans Le Bosquet de Psyché (1894) et dans Poètes d’aujourd’hui et poètes de demain, tous deux recueillis dans Figures et Caractères (1901), ainsi que dans Portraits et Souvenirs (1913) et Nos rencontres (1932).
BVDès sa jeunesse, Henri de Régnier est attiré par l’œuvre d’Antoine Watteau (1684-1721), comme le montre la copie de l’Indifférent qu’il exécute en 1882 pour l’offrir à sa tante (Inventaire Estampes Régnier 68, n° 17, Bibliothèque de l’Arsenal). Aussi exprime-t-il son admiration pour le peintre dans plusieurs comptes rendus dont il loue l’« œuvre délicieuse et un peu féérique » (Choses et gens d’autrefois, Le Gaulois, 17 juin 1903, repris dans Caylus, Sujets et paysages, p. 168), qui dégage une « délicate et douloureuse mélancolie » nuancée d’« impressions presque musicales » (La vie littéraire [Watteau par Louis Gillet], Le Figaro, 8 août 1921, p. 3, voir aussi note du 2 août 1921). En effet, si, dans ses recensions, Régnier ne se limite pas à reprendre les remarques des auteurs dont il commente les livres, c’est parce qu’il tente de mettre en relief les correspondances qu’il retrouve avec son art. C’est pour cette raison que le « vocabulaire musical » sur lequel Louis Gillet avait disserté (Watteau, 1921, p. 103-104) devient chez Régnier l’une des facettes du « génie poétique » de Watteau, qui le transforme en un « grand poète pictural » et en un « grand musicien coloré » à même d’exprimer son « poème intérieur » et de raconter son « âme divinement humaine » (La vie littéraire [Watteau par Louis Gillet], p. 3). Cet oxymore illustre bien l’œuvre du peintre qui a réussi à représenter dans ses tableaux toutes les contradictions de la condition humaine, les joies et les soupirs, comme Régnier le rappelle dans le poème qu’il lui dédie (Revue des Deux Mondes, 1er septembre 1904, p. 94, recueilli ensuite dans La Sandale ailée). Ce sonnet montre surtout les deux sources de Watteau, la grande peinture et l'expression populaire, incarnées en Versailles et en Venise (voir note du 15 mars 1903). Cette double inspiration appartient aussi à Régnier, comme lui appartiennent les deux villes sous les enseignes desquelles il range la peinture de Watteau. C’est pourquoi ce peintre occupe une place de choix dans les notes intimes où il ne cesse, pour ses personnages, d’exalter la grâce des gestes (juin 1894) et de faire l’éloge de la netteté et la coquetterie qui lui font penser aux caractères de La Bruyère ou de Marivaux (juillet 1896). Cette similitude, déjà remarquée par Gustave Lamourret (« Le sourire qui égale la gracieuse et mutine physionomie des héroïnes de Watteau voltige sur les lèvres de celles de Marivaux », Marivaux, sa vie et ses œuvres, p. 175), non contente de souligner la vivacité de certains dessins, met en évidence la capacité du peintre de transcender son art pour restituer la légèreté d’une vie faite de danses et de chansons. C’est ce même sentiment que Régnier remarque dans les kermesses de Teniers (juillet 1897), et qu’il essaiera de transposer dans un conte où l’évocation des deux peintres lui sert de prétexte pour chanter sa passion pour le « monde d’enchantement et de comédie » évoqué par Watteau (Portrait d’amour, Excelsior, 11 août 1912, repris ensuite dans Le Plateau de laque, 1913).
SR