ENCHRE - Cahier cahier IV

CAHIER IV - page 18v

Texte incertain

Texte fautif

Termes repérés

0118v

02Il y a des gens pour qui le sommeil est un Léthé, et qui s’éveillent avec
03des cervelles toutes neuves, dans un apaisement souriant d’être,
04un tranquillité jouisseuse – le nocturne repos de leur corps a été aussi
05le repos de leur tête – moi, le matin – le réveil est fatigué d’un poids.

06Mercredi 30 Mars – Le soir Place Pigalle à une représentation
07des pièce d’Alexis, de Henniqueⁱ de Vidalⁱ. Dans la salle beaucoup de
08monde – des dames du quartier une bizarre société Montmartraise
09des hommes de lettres. Aux fauteuils Mallarméⁱ, Dujardinⁱ, Ajalbert –
10plus loin Lapommerayeⁱ – une face de forban livide.

11À côté de moi – Daudet – vieilli, pâle, l’air mourant plus rien
12du Daudet à monocle qui orna si longtemps la rue de Rivoli
13M^me Daudetⁱ, Henniqueⁱ, Puvisⁱ Zola – enthousiaste, remuant.
14sa femme en satin noir, un air de commerçante riche
15Signacⁱ, Adamⁱ, Alexis et sa femme. Singulier monde
16que tout cela

17L'Esprit c'est le génie des Imbéciles

18Lundi 4 Avril : Hier après déjeuner chez Met. Metman ⁱ au bois :
19avec De la Rue. Dans l’allée des Acacias, une interminable défilé
20longitudinal de voitures s’accomplit entre deux trottoirs frémissants
21de monde, encombrés d’assis sur des chaises de fer, entre des arbres
22dépouillés de feuilles, sous un ciel d’un bleu charmant, pâle
23de jeunesse et d’Avril. et, au romancier qui voudrait rendre cet

18v

Il y a des gens pour qui le sommeil est un Léthé, et qui s’éveillent avec des cervelles toutes neuves, dans un apaisement souriant d’être, une tranquillité jouisseuse – le nocturne repos de leur corps a été aussi le repos de leur tête. Moi, le matin, le réveil est fatigué d’un poids.

Mercredi 30 mars – Le soir, place Pigalle, à une représentation des pièces d’Alexis, de Henniqueⁱ, de Vidalⁱ. Dans la salle beaucoup de monde – des dames du quartier, une bizarre société montmartraise, des hommes de lettres. Aux fauteuils, Mallarméⁱ, Dujardinⁱ, Ajalbert, plus loin Lapommerayeⁱ – une face de forban livide.

À côté de moi, Daudet – vieilli, pâle, l’air mourant, plus rien du Daudet à monocle qui orna si longtemps la rue de Rivoli ; M^me Daudetⁱ, Henniqueⁱ, Puvisⁱ, Zola – enthousiaste, remuant ; sa femme – en satin noir, un air de commerçante riche ; Signacⁱ, Adamⁱ, Alexis et sa femme. Singulier monde que tout cela.

L'Esprit, c'est le génie des Imbéciles.

Lundi 4 avril : Hier, après déjeuner chez Met. Metman ⁱ, au Bois : avec De la Rue. Dans l’allée des Acacias, un interminable défilé longitudinal de voitures s’accomplit entre deux trottoirs frémissants de monde, encombrés d’assis sur des chaises de fer, entre des arbres dépouillés de feuilles, sous un ciel d’un bleu charmant, pâle de jeunesse et d’Avril. Et, un romancier qui voudrait rendre cet

96: Il s’agit du premier spectacle donné par le Théâtre-Libre ce 30 mars 1887, 37 passage de l’Élysée-des-Beaux-Arts, place Pigalle. On y joue trois pièces en un acte, Mademoiselle Pomme, comédie-farce de Paul Alexis et Duranty, Jacques Damour, de Léon Hennique, d’après Zola, et La Cocarde, comédie de Jules Vidal. Voici Régnier en plein territoire naturaliste. Alexis (1847-1901) et Hennique (1850-1935) participent autour de Zola aux Soirées de Médan (1880). [PL]
97: Régnier a rencontré Édouard Dujardin (1861-1949) et Jean Ajalbert (1863-1947) dans le salon de Robert Caze. Dujardin fonde en mai 1884 La Revue indépendante, première tentative sérieuse de rassemblement de la jeune génération littéraire, à laquelle collabore Régnier qui se lie quelque temps d’amitié avec lui. Ajalbert, secrétaire de la revue et futur académicien Goncourt, publie alors des poèmes de ton et de sujets prosaïques recueillis dans Femmes et Paysages (1891) et un roman réaliste évoquant la vie des faubourgs, Le P’tit (1888). [PL]
98: Régnier aime beaucoup le peintre symboliste Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898) auquel il consacre un article dans les Entretiens politiques et littéraires, n° 3, juin 1890, p. 87-89. [PL]
99: C’est la première fois que Régnier voit Zola, avec qui il n’aura jamais de relation personnelle, si l’on excepte deux hâtives rencontres chez Heredia et Leconte de Lisle et une participation commune au banquet Goncourt (1^er mars 1895). L’œuvre de Zola et son hostilité au Symbolisme sont constamment fustigées par Régnier dans ses lettres à Vielé-Griffin et ses Cahiers. Un premier jugement aussi sévère qu’injuste du romancier contre "l’école des décadents et des symbolistes qui nous empoisonne" (La Presse, 7 février 1890) provoque en contrepartie la fondation des Entretiens politiques et littéraires, pamphlet devenu revue. Le second, sa réponse à l’enquête sur l’évolution littéraire de L’Écho de Paris (31 mars 1891), dénonce "son obscurité de bazar à dix-neuf sous" et son repli sur le passé qui condamne les jeunes à avoir "tout contre eux : le progrès, puisqu’ils prétendent reculer ; la bourgeoisie, la démocratie, puisqu’ils sont obscurs". Pour répondre aux clichés, du reste communs à tous les opposants, Régnier publie deux articles dans les Entretiens : le premier, "Commentaire sur l’Argent" (mai 1891, p. 177-179), ironise sur la fascination du romancier pour son personnage, le financier Saccard, décrit comme un "poète de l’argent", et dénonce la "malheureuse" association de "deux mots qui n’ont que faire ensemble et qu’il importe de disjoindre". Le second, "Propos interrupteurs" (novembre 1891, p. 165-169), plus polémique encore, s’en prend au "triumvirat naturaliste" (Zola, Daudet, Goncourt) et reproche à l’auteur des Rougon-Macquart d’exploiter toujours les mêmes recettes : "Il façonne plutôt qu’il n’écrit et il écrit plutôt qu’il ne pense. De données établies une fois pour toutes il tire des effets peu différents. Rien de moins varié que l’œuvre de M. Zola, sous ses aspects encyclopédiques." Les Entretiens sont "antinaturalistes" par vocation et, dans un des manifestes qui parsèment son existence, Vielé-Griffin présente, de manière quasi emblématique, Régnier qui "se penche, silencieux, pour allumer son cigare d’un feuillet embrasé des Rougon-Macquart ou du dernier Daudet" (janvier 1892, p. 13). Une fois les passions de la jeunesse assagies, Régnier n’évoquera toutefois plus guère l’œuvre de Zola. [PL]
100: La formule est démarquée, voire reprise de Villiers [occurrence exacte à retrouver dans la biographie d’Alan Raitt]. Pour Villiers, il s’agit d’opposer l’esprit mondain au véritable génie, qui est celui du penseur et de l’artiste et nullement, on s’en doute, de viser l’Esprit au sens philosophique du terme. Celui-ci est par lui emprunté à Hegel (dans la traduction d’Auguste Véra), qui fut une référence majeure et constamment affichée par Villiers jusqu’à sa rencontre avec Wagner (1869-1870). On peut donc s’étonner que, des trois termes utilisés par Régnier, celui de "génie" soit le seul dépourvu de grande capitale à l’initiale. À moins qu’il ne s’agisse précisément, en minorant le terme dévoyé, de faire correspondre au parangon de l’"Esprit" mondain une imbécillité majuscule. [BV]
101: Personnage non identifié. [PL]
102: Ancien nom de l’allée de Longchamp qui traverse en diagonale le Bois de Boulogne de la Porte Maillot au carrefour de Longchamp. [PL]
103: Pour rétablir la cohérence syntaxique de la phrase (voir version semi-diplomatique), il faudrait corriger "au" en "un" (ou en "le", comme le fait NB). [BR]